Al Held : Watercolours
Le nom d’Al Held (1928-2005) reste associé la hard edge painting, mais près de quatre décennies de son art restent en France largement méconnues. Cette exposition d’aquarelles exécutées dans les années 1990 et 2000 constitue une véritable révélation. Dans ces années-là, Al Held passe une partie de son temps dans sa maison en Ombrie (Italie) et y peint de nombreuses aquarelles, dont certaines de très grand format. Il les conçoit comme des œuvres autonomes mais s’en inspire aussi pour les grands tableaux qu’il peint aux États-Unis et qui en sont comme une simplification : visions de structures architecturales, sols en damier qui se soulèvent et se tordent, perspectives contradictoires, mêlant allusions au Quattrocento, à l’architecture baroque ou au Futurisme. Ce sont des œuvres visionnaires, en même temps qu’un travail de recherche qui prend parfois des allures de traité de perspective et de construction. Al Held joue des effets de lumière, de transparence que lui permet le médium et laisse voir en plus d’une occasion les traits de construction. Cela ressemble à un acte d’amour, la possibilité que se donne l’artiste de se résumer, d’être au plus près des maîtres anciens sans cesser de regarder vers le futur. Cas remarquable d’un contemporain d’Ellsworth Kelly et de Kenneth Noland se livrant à une relecture d’une abstraction qu’il a lui-même portée, au point de se trouver mieux en phase avec, mettons, Thomas Scheibitz ou Sarah Morris.
Du 19 avril au 27 mai 2023, White Cube Paris, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Núria Güell : Confinements, Escape Plans and a Various Kinds of Jouissance
Núria Guëll pourrait être qualifiée d’artiviste, terme forgé par Tania Bruguera qui fut l’une de ses inspiratrices et dont elle a suivi l’enseignement. Les actions constitutives de son travail artistique visent à la fois à mettre le doigt sur une sérieuse question, à faire œuvre utile, et à trouver une forme qui ait aussi sa beauté. L’exposition présente quatre œuvres qui documentent quatre actions. L’une d’elles a consisté à ouvrir une ligne téléphonique libre d’accès pour des prisonniers, qui leur permettait d’appeler aux heures d’ouvertures du musée et d’entrer en conversation avec les visiteurs, en fonction du bon vouloir de ceux-ci. Cette délégation de pouvoir, on la retrouve dans une autre action qui a consisté à confier la surveillance de son exposition à des prisonniers de droit commun tous condamnés pour vol d’œuvres d’art ou d’objets précieux. Un renversement des rôles qui renvoie à une longue histoire de l’artiste comme criminel (en pensée ou en acte) et qui a eu pour effet positif d’anticiper la libération de certains de ces gardiens amateurs ; au vu, suppose-t-on, de leur capacité de réinsertion.
Mais l’action la mieux documentée a consisté à donner la nationalité espagnole (et par là même la possibilité de fuir une réalité accablante) à un jeune Cubain par le biais d’un mariage blanc, selon un protocole que l’on ne révélera pas. C’est moins le détournement d’une institution qui est ici en jeu, que celui d’un trafic assimilable à la prostitution. En réponse, le cocontractant de l’artiste n’a que l’obligation de devenir coauteur.
À travers ces exemples, qui font passer la forme dans l’élaboration de protocoles et de contrats, Núria Guëll montre de quelle façon l’artiste peut redistribuer un peu ou beaucoup de la liberté qui lui est donnée.
Du 13 avril au 1er juillet 2023, Salle Principale, 28 rue de Thionville, 75019 Paris
Jason Saager : Intermediate Worlds
Jason Saager donne comme sources d’inspiration à ses œuvres les fresques de la Renaissance italienne, les peintres de la Chine ancienne, Don Yuan et Ni Zan, et des classiques de la littérature fantastique ou de science-fiction. La référence à la peinture de la Renaissance italienne est assez évidente dans les œuvres choisies ici, celle de la Chine un peu moins, et quant à celle de la littérature de science-fiction, elle ne passe pas par le recours à une iconographie mais par la façon dont l’artiste joue avec les repères temporels et dimensionnels dans ses paysages imaginaires.
Multipliant à l’envi les motifs d’arbres, de collines ou de nuages, pratiquant parfois des ouvertures et des superpositions, il construit moins des paysages qu’il ne peint des décors naturels d’où les figures, et, avec elles, la narration auraient disparu.
Dans Oceanside Sky Valley, on voit des peupliers et des pins parasols aux fûts démesurément étirés dont certains viennent se cogner aux nuages, des nuages qui semblent flotter à la surface de l’eau, et des collines de différentes tailles qui se chevauchent. Dans Horizon Deceivers, il s’agit d’un all-over en forme de mer de nuages qui laisse entrevoir en quatre ou cinq endroits de minces bandes de paysage. Cette peinture métaphysique d’un nouveau genre, voyage dans l’espace-temps de la peinture, nous fait, comme dans un conte, imaginer la figure d’un maître ancien frappé par la vision du moderne.
Du 30 mars au 15 mai 2023, Galerie Nathalie Obadia, 3 rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris
Chloé Quenum : Wonder Wander
C’est une grande photo sur un cabas en vinyle à motif à carreau posé à plat au mur. La photo cadre une main de femme qui soulève un t-shirt et un bout de tissu léopard, pour découvrir son bas-ventre. Couverte d’une feuille de calque jaune, la photo fait plus habillée et s’accorde bien au cabas et à son anse bleu vif (19 juillet 2019, 2022). On pourrait interpréter cette œuvre de Chloé Quenum comme un point de vue sur le monde (un cabas qu’on rattache aux quartiers populaires et à l’immigration) porté depuis son nombril (celui-ci ressemble à un œil) ou, plus justement peut-être, une image synthétisant l’exotisme. À cette photo en répond une autre, fixée sur une grande natte de paille, qui expose un autre morceau de corps porteur d’une empreinte. Quelque chose se met en place entre les différentes œuvres d’époques diverses sans qu’on puisse dire s’il s’agit plutôt d’un portrait ou plutôt d’un récit : une poignée de canne trouvée devenue objet fétiche, des notes recueillies au cours d’un voyage aux antipodes et dispersées sur un large coupon de coton écru… On balance entre les jeux avec le sommeil et avec la mémoire, et l’ardeur mise à révéler des fragments d’histoire. Sur une étagère basse, Chloé Quenum a disposé différentes formes organiques en verre soufflé bleu. Celles-ci sont inspirées de dessins allégoriques, des rébus gravés sur des calebasses qui, dans l’ancien royaume du Dahomey (aujourd’hui le Bénin), servaient à transmettre des messages. Un rébus en volumes et en désordre qui valent comme une célébration du secret.
Du 9 avril au 20 mai 2023, Galerie Florence Loewy, 9-11 rue de Thorigny, 75003 Paris