On entre dans l’exposition « Philippe Cognée. La peinture d’après » après avoir traversé les salles dédiées à l’œuvre d’Antoine Bourdelle. D’emblée, c’est le nombre qui frappe, comme un signe patent du changement d’époque : celui des Nodules (1991), boules de terre étalées par centaines, où la forme ne fait que poindre, sommairement modelées qu’elles sont sous la pression de gestes indéfiniment recommencés, comme autant de départs vite abandonnés, entre urgence et compulsion ; celui des Têtes d’hommes (1989) grossièrement taillées dans le bois et peintes à l’encaustique, qui s’alignent, toutes semblables, quoique différentes ; celui des photographies repeintes (Sans titre, 1991-1995), plusieurs centaines là aussi, parce qu’elles sont, petit format aidant, de ce que l’on accumule sans s’en apercevoir ; celui, enfin, des rayonnages, marchandises et panonceaux dont l’espace du triptyque Supermarché (2003-2004) est sursaturé.
Voilà qui prépare à découvrir l’ensemble du Catalogue de Bâle, réalisé entre 2013 et 2015, qui, présenté ici pour la première fois dans son intégralité, forme le cœur de l’exposition : soit 1 000 peintures de format identique – A4 (29,7 × 21 cm) –, accrochées serrées en une ligne à hauteur des yeux, le long d’un parcours méandreux de cimaises, qui, depuis la répétition la plus régulière, bat en brèche toute idée d’ordre.
Au début, c’est comme un jeu : on se réjouit de reconnaître là un relief de Jean Arp, là une sculpture d’Antoine Bourdelle, là encore un mobile d’Alexander Calder ou là, tiens, une One Minute Sculpture d’Erwin Wurm, et puis, là, une carte postale d’On Kawara – chacun fera son florilège sentimental. On s’attache à la peinture et à la diversité de ses mises en œuvre, en particulier dans les zones blanches qui entourent les reproductions. On se creuse la tête devant les images que l’on ne reconnaît pas, mais que l’on est sûr, pourtant, d’avoir déjà vues quelque part, maudissant la paresse de la mémoire, se promettant de tirer les choses au clair.
Mais bientôt, c’est le tournis qui vient, une forme d’écrasement sisyphéen, et l’on comprend pourquoi il nous est impossible de tout retenir. Il s’agit de pages découpées dans plusieurs éditions du catalogue de la célèbre Foire de Bâle [Art Basel] et repeintes directement par-dessus, dans un geste qui participe du rehaut autant que de l’effacement, et l’accrochage ne fait que conforter ce sentiment de trop-plein et de déroute : ce n’est pas un récit qui se construit là, aussi orienté soit-il ; ce qui se produit à l’évidence, c’est la brutalité d’un étalage où tout peut être également désirable, où une œuvre s’ajoute à une autre, indéfiniment.
« Philippe Cognée. La peinture d’après », 15 mars-16 juillet 2023, musée Bourdelle, 18, rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris.