Comment faire regagner le chemin des galeries aux collectionneurs ce printemps ? Tel est le défi auquel doivent répondre les galeristes, tant il est vrai que la crise sanitaire et les grèves à répétition ont rendu quelque peu frileux le public. Les marchands d’« arts premiers » semblent avoir trouvé la parade en proposant des œuvres d’exception et en concoctant des expositions thématiques pointues.
C’est souvent au terme de nombreuses années de préparation et de quête effrénée de l’objet rare qu’il est possible de rassembler la quintessence d’une culture ou d’une expression artistique. Il a fallu ainsi huit ans à Judith Schoffel et Christophe de Fabry pour présenter dans leur galerie de la rue Guénégaud cet exceptionnel ensemble de figures Teke (Congo) dont l’esthétique oscille entre stylisation cubiste et raffinement exquis. La surprise vient aussi des prix très raisonnables proposés par le couple de marchands, puisque certaines pièces n’excèdent pas 6 000 euros. En revanche, il faudra débourser 60 000 euros pour une magistrale sculpture attribuée au « Maître de la barbe cunéiforme ». « Il existe seulement cinq œuvres au monde attribuées à cet artiste : deux au musée de Tervuren [à Bruxelles], une au Musée d’Ethnographie de Genève (MEG), et une autre qui vient tout juste de passer en vente chez Christie’s », souligne avec une pointe de fierté Judith Schoffel.
Chez Anthony Meyer, ce sont les mille et une nuances du bois qui sont mises à l’honneur, à travers un florilège de sculptures et d’objets océaniens de toute beauté. Parmi les pépites proposées, on peut admirer ce pilon du Vanuatu dont le sommet est orné de deux figures janiformes d’oiseaux (35 000 euros), ou ce récipient à nourriture cérémoniel mélanésien des îles Tami du XIXe siècle en forme de poisson dévorant un humain (à 6 550 euros).
Mais l’une des lignes fortes de cette dixième édition est le dialogue esquissé entre art moderne et art tribal. La galerie Lucas Ratton confronte ainsi un bel ensemble de statues dogon (dont un masque historique provenant de la collection Vérité qui atteint les 100 000 euros) avec des œuvres de Jean Dubuffet « primitives à souhait », dit le marchand. Le galeriste barcelonais Guilhem Montagut, quant à lui, invite à un saisissant face-à-face entre une toile de Tàpies (120 000 euros) et une sculpture Malinke (25 000 euros).
Mais le plaisir est aussi de papillonner au gré des galeries pour y admirer des pièces choisies pour leur rareté et leur dimension esthétique. Parmi les surprises visuelles de cette 10e édition, on a ainsi pu admirer chez Alain Bovis un étonnant cavalier dogon – culture décidément très représentée cette année à Paris Tribal – « aux allures de sculpture romane » (35 000 euros), cette poupée kachina historique représentant un hibou exposé par Julien Flak (60 000 euros), ou bien encore, chez Yann Ferrandin, cette statue d’un ancêtre protecteur Ifugao des Philippines (Bulul) provenant d’une collection japonaise, d’une intériorité et d’une délicatesse extrêmes (20 000 euros). Une invitation au voyage.
Paris Tribal, jusqu’au 22 avril, quartier de Saint-Germain-des-Prés, Paris, www.paristribal.com