Timișoara a été qualifiée « la petite Vienne » à l’époque de l’Empire des Habsbourg en référence à ses magnifiques édifices baroques teintés de vert pistache, de rose ou de jaune. Cette ville à l’ouest de la Roumanie avec ses bâtiments anciens, puis soviétiques, construits avant les hauts immeubles contemporains, est une des trois capitales européennes de la Culture 2023 – avec Éleusis en Grèce et Veszprém en Hongrie.
Pour marquer l’événement internationalement, Timișoara propose deux importantes expositions : l’une consacrée actuellement à Victor Brauner, l’autre à Constantin Brancusi à l’automne 2023. Ironie du sort : ces héros nationaux ont surtout vécu à Paris… Entre ces deux manifestations se déroulera la 5e Biennale d’art contemporain Art Encounters, orientée vers les sciences (du 19 mai au 16 juillet 2023).
La rétrospective de Victor Brauner (1903-1966), intitulée : « Inventions et magie », est présentée au Musée national d’art. Elle est la première grande exposition du surréaliste roumain dans son pays d’origine. Elle constitue aussi une réhabilitation pour ce peintre et dessinateur né dans une famille juive, qui a souffert de l’antisémitisme toute sa vie. Les pratiques ésotériques de son père ont fortement influencé l’œuvre de Brauner, qui s’est aussi inspiré des légendes populaires et contes de fées, nourrissant sa fantaisie débordante, notamment sur le plan érotique.
Brauner a passé de longs séjours en France dès 1925, fréquentant les surréalistes, en particulier André Breton et Max Ernst, et surtout son compatriote Constantin Brancusi, qui l’a aidé matériellement. Définitivement installé en France en 1938, il a tenté en vain de quitter l’Europe en 1941. Malgré une pièce d’identité falsifiée (exposée parmi les documents d’archive venant de la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou), précisant que cet homme « blond mesurant 169 cm, avec un œil en verre » était né en France, l’artiste éternellement malchanceux n’a pas obtenu de visa. Il s’est caché avec sa deuxième femme Jacqueline Abraham jusqu’en 1945 à Théus, dans les Hautes-Alpes.
L’exposition roumaine, conçue et accrochée impeccablement par Camille Morando, responsable de la documentation des œuvres pour les collections modernes au musée national d’art moderne/Centre Pompidou, qui a travaillé pendant vingt ans sur les archives transmises par la veuve, Jacqueline Victor Brauner, réunit 67 œuvres, dont 2 sculptures. Le Centre Pompidou, en tant que co-organisateur, prête la moitié des pièces du parcours.
L’accrochage chronologique est bien rythmé entre peintures et dessins. Toutes les œuvres importantes sont là : le portrait prémonitoire de Hitler de 1934, l’autoportrait de 1931, avec un œil qui coule comme les montres de Salvador Dalí – peint sept ans avant l’accident qui a effectivement coûté un œil au peintre.
L’exposition présente aussi les petites peintures que Brauner a transportées dans sa valise entre Bucarest et Paris, œuvres très influencées par Giorgio De Chirico ou Yves Tanguy. Les compositions sont peuplées de figures allégoriques, monstrueuses parfois, de femme-animal, de serpents ou de dragons ailés, de sphinges ou lycanthropes, toutes, aussi fascinantes qu’étranges. Un seul regret : les magnifiques dessins érotiques, exposés en 2011 à la Galerie Malingue à Paris, manquent au pays des vampires, qui a façonné l’esprit d’Eugène Ionesco, Paul Celan, Emil Cioran et Mircea Eliade.
--
« Victor Brauner. Inventions et magie », jusqu’au 28 mai 2023, Musée national d’art, Piaţa Unirii, Nr.1, Timișoara, Roumanie