Les conflits, comme celui en cours en Ukraine, appellent à un devoir de mémoire, notamment pour les victimes innocentes, civils fauchés par le déchaînement de la puissance militaire. Au XXe siècle, la barbarie nazie s’en est prise à des millions de juifs d’Europe, pourchassant ces femmes, ces hommes et ces enfants pour les conduire dans les camps de la mort. Ce mois d’avril 2023 marque le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie qui se déroula du 19 avril au 16 mai 1943. Cette révolte s’achèvera par la « liquidation » du ghetto et l’arrestation des survivants. Les S.S. ont documenté cet événement atroce dans un album de photographies compilées par le S.S. Jürgen Stroop qui envoya ces cinquante-trois images aux responsables de cette opération, Krüger et Himmler. Parmi ces photos, l’une des plus célèbres met en scène un enfant portant une casquette, les mains levées, le regard terrifié, cliché anonyme connu sous le nom de L’enfant juif de Varsovie, qui montre toute l’horreur de la répression nazie. Ce petit garçon, nous le retrouvons aujourd’hui dans la crypte du Mémorial de la Shoah, à Paris, mais en trois dimensions cette fois, Adel Abdessemed lui ayant donné forme de sculpture. L’artiste a été invité pour le 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie à présenter cette œuvre de 2014 dans ce lieu symbolique jusqu'au 14 mai 2023. Pour mettre en valeur cette pièce recouverte d’ivoire, symbole de pureté, il a conçu, en collaboration avec le créateur de lumières Jean Kalman, un puissant faisceau qui vient donner tout son éclat à la sculpture et dessiner des ombres marquées. Comme dans la peinture classique, apparaît ici un jeu sur le clair-obscur, vocabulaire formel qui prend aussi un sens philosophique, opposant la connaissance à l’ignorance, le bien au mal. Autour, l’artiste a placé de grands soldats réalisés au fusain spécialement pour l’exposition, l’un marchant vers le petit garçon, un autre pointant son fusil comme dans la photo originelle. Mais toutes ces œuvres graphiques encadrées sont toujours entourées de leur plastique. « J’avais envie qu’ils restent emballés et prêts à être désinstallés, à partir », explique l’artiste, comme pour mieux libérer l’enfant – « Mon enfant », comme Adel Abdessemed a titré son œuvre –, et son humanité en ce lieu de mémoire.
Au Mémorial de la Shoah, Adel Abdessemed rend hommage à « son » enfant
17 avril 2023
L'éditorial de la semaine
La semaine de l'art vue par le directeur de la rédaction de The Art Newspaper France.