Heimo Zobernig : Heimo Zobernig
« Un récit des débuts, jusqu’à aujourd’hui » : c’est par ces mots que Heimo Zobernig achève de présenter cette nouvelle exposition constituée principalement d’œuvres des années 1980 et 1990 et de quelques œuvres récentes. Par un côté (séries d’œuvres sur papier, regroupements de tableaux), elle ressemble à une rétrospective. Par un autre côté (sculptures, constructions, objets), elle se présente comme une redistribution des cartes. On reconnaît les colonnes et sculptures en carton couvertes de vernis colorés, les variations sur différents registres d’abstraction picturales, on découvre des travaux relatifs au théâtre mais aussi des dessins rageurs d’un jeune artiste. Autre salut à la jeunesse : une petite maison en papier, barbouillée de couleurs, est posée sur une table peinte en noire, façon présentation d’école.
Deux paravents sont dressés à distance dans l’espace principal, comme deux grandes parenthèses ou les deux extrêmes d’un parcours en boucle. L’un date des années 1980, il est en aggloméré, recouvert d’un badigeon blanc qui, partant du haut, s’achève grossièrement à une dizaine de centimètres du bord inférieur. C’est un objet théorique autant qu’un manifeste, un triptyque abstrait et un élément structurant. Le paravent de 2023 est un cadre recouvert d’une maille légèrement brillante (gaze pour sprinkler) et semble davantage regarder vers la scène. Ces deux objets en situation sont emblématiques de la façon dont, pour Zobernig, les choses ne cessent de se répondre et de se redéployer.
Du 1er avril au 25 mai 2023, Galerie Chantal Crousel, 10 rue Charlot, 75003 Paris
Gina Pane : Préliminaire
Découverte d’une peintre inconnue ayant œuvré à Paris entre 1961 et 1968. Où l’on voit Gina Pane, artiste de 20 ans, s’affranchir des influences du tachisme, du paysagisme abstrait et de Schwitters, pour se rapprocher d’Herbin ou de Magnelli avant de bousculer la géométrie. Les datations de ces tableaux, fonds d’atelier, indiquent un intervalle de deux ou trois années, si bien qu’on ne peut qu’imaginer une ligne d’évolution. On pourrait situer à mi-parcours des tableaux qui évoquent la fracture par des bandes verticales irrégulières ou par des regroupements de figures géométriques.
Viendraient ensuite des œuvres composées de plans de couleur qui, par un effet perspectif, ressemblent à des panneaux ou à des volets déployés dans l’espace. Peu à peu, ces plans laissent la place à d’autres tableaux où des polygones irréguliers semblent se chevaucher, se superposer ou se couper. Gina Pane porte la contestation à l’intérieur du plan pictural à une époque où la toile libre ou l’objet s’offraient comme des alternatives au tableau. Usant de caches, de gabarits, de bandes adhésives, soulignant ou cernant, elle confère à ses peintures une apparence d’assemblages, d’entassements de formes, suggère une tactilité de celles-ci. Cette phase d’expérimentation, cette recherche d’une voie sienne font tout l’intérêt de cette découverte.
Du 24 mars au 3 juin 2023, Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris
William S. Burroughs : The Ripper Spirals
La vision de William S. Burroughs explosant d’un tir de carabine une bombe de peinture placée devant une planche de contreplaqué, a fixé l’image d’un vieux voyou chic qui se moque des lois, picturales notamment. Cet artiste a le caractère d’une fiction parodique et cette confusion de la fiction et du réel est constitutive de son œuvre artistique. C’est une parodie sérieuse, et l’écrivain de génie, et figure légendaire, fait mieux qu’un quelconque performer pour défendre ces shotgun paintings, souvent arrangées.
Le choix de présenter un ensemble de celles-ci assoclées et disposées en groupe sur une estrade souligne leur caractère d’artefacts, d’objets inclassables relevant autant de l’art contemporain que de l’ethnographie. En eux se rejoignent le folklore états-unien et un attrait pour le chamanisme et le magique.
Burroughs a dit et redit que le cut-up était pour la littérature le moyen de rattraper l’avance prise par la peinture avec l’invention du collage. Ses collages à lui, mais aussi ses barbouillages sur des chemises en carton ouvertes, ses découpages de silhouettes et ses peintures au spray désarmées, s’offrent comme des supports à rêverie, des connecteurs entre différents niveaux d’expérience. Le collage qui donne son titre à l’exposition, vision de gouffre porté par les mots, est un parfait objet poétique. Un autre collage, dans le genre contestataire, fait apparaître George Bush, yeux masqués par une bande noire, et laisse imaginer quelque sortilège lancé.
Du 11 mars au 29 avril 2023, Semiose, 44 rue Quincampoix, 75004 Paris
Carsten Höller : Clocks
Avec Half Clock (2021), Carsten Holler a vraisemblablement accompli son désir de « réaliser l’horloge la plus compliquée sur terre ». Elle consiste en trois demi-sphères encapsulées faites de tubes de néon, chaque demi-sphère ayant sa propre couleur, l’extérieur représentant les secondes, la centrale les minutes, et la partie intérieure les heures. 12 heures seulement sont représentées et seules 30 minutes et 30 secondes de chaque heure s’affichent par le biais des couleurs. On arrête là la copie d’une présentation qui à chaque étape révèle un nouveau degré de complexité. Outre l’inévitable fascination qu’on peut éprouver devant une construction mentale qui nous dépasse, la pièce offre une représentation du cycle des heures perturbante par ses chevauchements de lignes, comme par sa désignation d’un hors temps.
À côté d’elle, Decimal Clock (2023), concrétisation du projet des Conventionnels de 1794 de ramener la mesure du temps au système décimal (10 heures d’une durée de 100 minutes composées de 100 secondes) sous la forme d’un disque d’une vingtaine d’anneaux en néon bleu et orange, instille le doute derrière son appel à la raison. Occasion de méditer aussi bien sur la relativité des mesures du temps que sur l’ambition révolutionnaire.
Sourire et retour à la mesure humaine, Black Sliding Window (2023) n’ouvre ses panneaux qu’à chaque heure nouvelle ou bien quand le visiteur s’en approche.
Du 28 mars au 20 mai 2023, Gagosian, 9 rue de Castiglione, 75001 Paris