Ariane Loze : Nos amours froides
La table qui a servi à la performance inaugurale de l’exposition reste dressée. Elle consistait en une interprétation par des invités des vingt-deux monologues décousus qui font la trame du film Nos amours froides. Celui-ci est projeté dans l’espace mitoyen, séparé par un rideau noir. En séquences ultracourtes tournées dans un Paris quasi désert, montées en une alternance incessante, nous découvrons vingt-deux personnages tous incarnés par Ariane Loze, sans maquillage, et se différenciant par le vêtement et la coiffure. On reconnaît des types, de l’affairiste à l’idéaliste (avec parfois une hésitation quant au genre), mais le registre de langage est à peu près semblable, qu’il s’agisse de se présenter, de se vendre, ou de séduire. De l’application professionnelle, à l’application rencontre, le jeu, le test ou l’aveu tendent à se ressembler. Dans ce film comme dans If you didn’t choose A, you’ll probably choose B, qui l’accompagne et lui ressemble (sur un versant paranoïaque), il est question d’algorithmes et de la façon dont ceux-ci déterminent nos rapports sociaux, professionnels ou amoureux. Se glisse une séquence dialogue dramatisée en champ-contrechamp, et une séquence vérité qui ajoutent un degré supplémentaire à cette mise en jeu de la vie quotidienne. C’est la grande peur de l’algorithme mais c’est aussi la définition d’un nouvel art de la conversation en regard caméra ou face à l’écran d’un smartphone imaginaire. Le portrait d’un groupe, d’une époque, porté avec brio d’un ton à la fois juste et neutre.
Du 25 mars au 6 mai 2023, Michel Rein, 42 rue de Turenne, 75003 Paris
Basma al-Sharif : A Philistine
« A Philistine » de Basma al-Sharif nous accueille dans un salon oriental équipé de meubles en partie moderne, avec disséminés sur les tables et sur les sofas des exemplaires d’un livre en édition trilingue (arabe, anglais, français), écrit dans une écriture cursive. Cet ouvrage raconte une histoire à la façon d’un synopsis, ou plutôt une série de courts épisodes relatifs à la vie d’Andaleeb, peut-être la Philistine du titre, au sens original et au sens figuré. Il faut prendre le temps de lire ce récit qui traverse les pays (France, Liban, Palestine, Égypte) et les époques, et qui commence en 1935, quitte à s’y perdre un peu. Aux murs du salon, des photos de villes, d’intérieurs vides, de trains, dans l’ex-Yougoslavie. Renversement de l’exotisme, dans ce décor propice à la rêverie, et vision du voyage comme une translation sans fin, une fuite peut-être.
Au sous-sol de la galerie, la situation est moins confortable pour le spectateur invité à s’asseoir entre deux écrans de projections, et à laisser aller son regard de l’un à l’autre (Capital). À notre droite, une femme désœuvrée devant un écran de télévision, dans un décor des années 1930 ou 1940, avec un téléphone blanc (allusion aux comédies de l’Italie mussolinienne). Sur l’autre écran, des scènes tournées dans des zones résidentielles en Italie ou en Égypte avec une caméra ultra-mobile, suivie d’une séquence avec un ventriloque à la recherche d’une blague sur le fascisme. Cette réflexion croisée sur capital et fascisme qui trouve un écho dans l’Égypte actuelle, sonne comme un rappel des années 1970 avec des ruptures de ton, et des références cryptées ; témoignage du difficile positionnement artistique.
Du 23 mars au 13 juillet 2023, Galerie Imane Farès, 43 rue Mazarine, 75006 Paris
Lisetta Carmi : Érotisme et autoritarisme à Staglieno
La série que Lisetta Carmi a réalisée dans le cimetière de Staglieno remonte à la fin des 1960 et s’inscrit dans son travail documentaire sur Gênes. La série est modeste dans son ambition, et occupe une place relativement à part dans le travail d’une photographe connue pour son empathie à l’égard de ses sujets et par son souci de témoigner de la réalité sociale. Les photos devaient figurer dans le magazine hebdomadaire du Corriere della Sera, mais furent finalement refusées pour ne pas déprimer les lecteurs.
Les sculptures ou les groupes sculptés de Staglieno brillent par leur large ambition de figurer les adieux déchirants de la famille au disparu ou par leurs allégories à la gloire des supposés grands hommes. Dans certains cas, la scène est déjà cadrée et la photographe adopte une position de relatif effacement. Mais plus généralement, Carmi s’attache à réécrire l’histoire par le cadrage. Elle s’approche alors de figures secondaires, l’ange consolateur ou l’enfant éploré, pour faire vivre un monde de statues, avec de beaux effets quand une fleur ou un reflet viennent déposer quelques taches de couleur dans ces scènes uniformément grises. Une familiarité du deuil, une proximité des anges, et ce retournement d’une danse avec la mort où c’est la jeune danseuse qui semble l’emporter.
Du 16 mars au 13 mai 2023, Ciaccia Levi, 34 rue de Turbigo, 75003 Paris
Florian & Michael Quistrebert : Doors to the cosmos
Les derniers tableaux de Florian et Michael Quistrebert inaugurent une nouvelle manière. Choix est fait d’images fragmentées et recomposées, représentant tantôt des architectures d’inspiration médiévale, tantôt suggérant des figures ou des portraits que l’on devine plutôt qu’on ne les voit. D’un côté, on tend vers un certain onirisme (tours aux arêtes vives, ouvertures voûtées sur des plongées en oblique, escaliers qui ne mènent nulle part), de l’autre à de purs jeux optiques, par des dégradés de couleur et des effets de lumière. Bien qu’ils ne s’en réclament pas, il est difficile de ne pas penser au cubo-futurisme et aux mouvements dérivés qui ont tenté de concilier recherche formelle et vision du monde moderne. Les tableaux des Quistrebert réveillent ces visions sur un mode qui oscille entre une forme d’inquiétude et un chatoiement décoratif. Ces portes ouvrent sur un cosmos chargé autant que changeant et produisent, paradoxalement, un effet de saturation du plan pictural. Un no futurisme délicat et raffiné.
Du 15 mars au 27 avril 2023, Galerie Crèvecœur, 5 & 7 rue de Beaune, 75007 Paris