Karen Knorr
Une cage à oiseau vide, le chant d’un merle qui nous joue Where have all the flowers gone juste un peu mieux qu’une boîte à musique et, aux murs, les paroles de la célèbre chanson de Pete Seeger. Méditation sur le cycle de la vie, hymne anti-guerre, ce n’est sûrement pas sans raison que cette exposition rétrospective, couvrant une trentaine d’années d’activité, commence par une installation exagérément sentimentale et sans image. Dans les années 1980, Karen Knorr réalisait des ensembles images-textes en noir et blanc, des photos mises en scène qui livraient une critique acerbe de l’Angleterre éternelle et des longues années Thatcher. Mais avant tout, ces œuvres posaient les bases d’un art photographique sur le fil entre conceptuel et politique. Ces photos, qui démontent les stéréotypes de race, de classe ou de genre, n’ont rien perdu de leur mordant, et ne font qu’à peine datées.
Oubliant le texte (ou limitant sa place à des titres ciselés), Karen Knorr se tourne très vite vers la photo en couleur et, plus tard, la manipulation d’images. Le vol des oiseaux devant la célèbre escarpolette de Fragonard (In the Green Room, 2001) marque de ce point de vue un tournant. Les œuvres de notre siècle, jusqu’à de toutes récentes, montrent des animaux mis en scène ou plutôt insérés dans les décors de palais déserts, d’Europe, d’Inde ou d’Asie, ou dans des bâtiments modernistes. Ces animaux familiers ou exotiques pourraient bien nous représenter et servir quelque fable, et faire entendre que le passé colonial n’est pas totalement surmonté. Ils nous évoquent un univers de luxe, celui des photos de mode ramenées à une version allégorique, belle et glaciale. Mélancolie à plus d’un titre.
Du 11 mars au 29 avril 2023, Galerie Les Filles du Calvaire, 17 rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris
Megan Rooney : Flyer and the Seed
Dans les propos sur sa peinture, Megan Rooney parle de familles d’œuvres, de tableaux qui sont comme des personnages, mais aussi du climat et du monde autour d’elle, de tout ce qui nourrit en somme une œuvre de nature abstraite mais qui n’écarte pas toute allusion figurative, tout lien avec la représentation. On retient surtout cette distinction qu’elle fait dans les étapes de son travail entre un temps de plongée à l’intérieur de la matière, un temps d’excavation et un dernier temps, dans lequel elle se sent plus proche de l’oiseau. Cette peinture a des qualités atmosphériques et géologiques, fruit d’un long travail avec différents médiums (huile, acrylique, pastel) mais aussi de procédures de ponçage et de rayure.
La peinture monumentale à dominante bleu azur qui rayonne dans la plus grande salle de la galerie marque à la fois un horizon et un point limite de l’extension de la peinture sur toile vers le mural pour lequel Megan Rooney est également connue. Dans sa façon de procéder par accumulation d’expériences, de sensations et de réminiscences, quelques traits, fins comme une esquisse, viennent parfois contenir le sentiment d’expansion infinie. Ainsi, dans The Flyer and the seed, on voit, à nouveau sur fond d’azur, des balayages horizontaux, presque des frottages, beiges, rouges, orangés, plus épais en bas et évanescents dans la partie haute. À ce délicat équilibre entre ce qui semble venir du sol et ce qui semble venir du ciel, s’ajoutent de fines lignes verticales bleu foncé légèrement incurvées, qui suggèrent un volume et un mouvement ascensionnel. Ces traits rythmiques plutôt que constructifs nous font un peu mieux comprendre ce devenir oiseau qui fait dire à l’artiste : « je veux voler près de la surface à la recherche d’endroits où me poser. »
Du 11 mars au 22 avril 2023, Galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris
Chris Hood : Thought Forms
S’inspirant de la technique de la soaked-stain painting mise au point par Helen Frankenthaler dans les années 1950, Chris Hood emploie des peintures alkydes pour peindre le revers de la toile de ses tableaux. Peignant très librement, presque à l’aveugle, avec des couleurs qui ne se mélangent pas mais s’additionnent, cette technique a pour effet de produire des tableaux totalement exempts d’apparence matérielle et qu’on pourrait qualifier d’images rémanentes. Les flots de couleur qui selon les teintes peuvent évoquer des trombes d’eau, un incendie, ou un ciel nocturne, ont la froideur et l’élégance du marbre.
Sur ces tableaux déchaînés, ces maelstroms, il a lâché quelques images ou fragments d’images beaucoup plus nets, emprunts à des bandes dessinées avec des références au passage du temps : montres et bougies molles, démultiplication d’un visage de gamine dévorée d’angoisse. Ces figures, fleurs, objets, semblent être employées comme un matériau iconographique au mètre (on ne se prive pas de le découper un peu n’importe comment, ou de le répéter). Il permet de préciser le sentiment (celui de l’auteur ou celui qu’il veut partager). Sur ces abstractions chatoyantes, venues du fond des âges, les éclats de cartoon viennent fixer le cliché de l’artiste tourmenté et payer sa dette à la psychanalyse et à la tradition picturale états-unienne. Tant par la trouvaille technique que par cet usage parcimonieux de l’image, Chris Hood renouvelle le genre du tableau collage.
Du 18 mars au 22 avril 2023, Praz Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris
Linder : The Groom
Les œuvres de Linder sont des collages lissés ou bien des photomontages qui ont des airs de collage. Cette nouvelle série est articulée autour du thème de Cendrillon. Elle met en scène des images trouvées dans des livres de contes de fées illustrés et des photographies de magazine de mode ou décoration ou bien de magazines pornos. Cela va de la simple superposition d’images à des compositions surpeuplées et exubérantes, avec un goût prononcé pour le doré.
En superposant l’illustration d’une Cendrillon trop charmante, trop blonde, dans son rôle de malheureuse souillon, à la photo d’un corps féminin que l’on devine nu sur un tapis de fourrure (Happily ever after), Linder envoie un message clair sur le sens des contes et sur leurs visées prédatrices. C’est énorme et chargé, mais on ne saurait en nier l’efficacité. Dans les choix de magazines vieux de plusieurs décennies, on devine la marque d’une collectionneuse passionnée. Et dans ce style de collage à l’ancienne revu par les techniques modernes, on reconnaît un hommage à une presse marginale, aux fanzines plutôt qu’aux revues d’avant-garde. Tours, détours, détourages, dans un esprit punk par celle qui fut d’abord une figure de la scène musicale.
Du 16 mars au 6 mai 2023, Andréhn-Schiptjenko, 56 rue Chapon, 75003 Paris