L’impatience était palpable lorsque Noah Horowitz, le nouveau directeur mondial d’Art Basel, a accueilli lors du Preview VIP, le 21 mars 2023, les journalistes internationaux et les collectionneurs à la foire. Il s’agit de la première édition organisée au Convention & Exhibition Centre depuis que la Chine et Hongkong ont levé toutes les restrictions imposées par la pandémie de Covid-19.
Les chiffres sont plutôt bons pour cette édition : 177 galeries participent à la foire, soit une tendance à la hausse par rapport aux 130 exposants de 2022, avec 22 nouvelles galeries, dont Gallery Vacancy de Shanghai et Whistle de Séoul. Ce nombre est toutefois nettement inférieur au pic de 242 exposants atteint lors de l’édition 2019, la dernière à avoir eu lieu avant la pandémie.
Malgré les vents contraires auxquels la ville est objectivement confrontée, Noah Horowitz a souligné que la scène des galeries est restée « vibrante » à Hongkong et, surtout, que les trois maisons de ventes aux enchères « redoublent » leur intérêt envers la ville. Plus tôt cette semaine, Phillips a ainsi inauguré son nouveau siège asiatique, somptueux, dans le quartier culturel de West Kowloon. Le discours du directeur de la foire devant la presse, manifestement heureux d’être de retour dans une ville qui a imposé certaines des mesures les plus draconiennes au monde lors de la pandémie, a mis en lumière un point essentiel, à savoir que Hongkong restait « une porte d’entrée vers le marché asiatique ».
Le nombre très élevé de visiteurs lors du vernissage et la présence de marchands comme Sadie Coles, Jay Jopling (White Cube) et David Zwirner, qui se sont déplacés en personne, semblent en attester. « Il est important que les galeristes soient visibles et présents sur la foire, après que les stands ont été tenus par des équipes engagées à distance ces dernières années », faisait remarquer un commentateur anonyme de Hongkong.
Des personnalités de premier plan telles que Maria Balshaw, directrice de la Tate à Londres, Amy Cappellazzo, d’Art Intelligence Global, le couple de collectionneurs bangladais Rajeeb et Nadia Samdani, ainsi que l’artiste NFT Beeple étaient également présents.
Les comptes rendus des ventes ont commencé à pleuvoir presque aussitôt après l’ouverture, reflétant le pouvoir d’achat élevé des collectionneurs asiatiques, en particulier avec une série d’acquisitions par des privés et des institutions de la région, parmi lesquelles Truffaut (2005) d’Elizabeth Peyton, vendu pour 2,2 millions de dollars par la galerie David Zwirner à un « important musée asiatique ».
Hauser & Wirth a vendu On Being Blue (2023) d’Angel Otero pour 225 000 dollars au Long Museum de Shanghai, tandis que The Wine Dark Sea (2022-2023) de l’artiste ukrainienne Stanislava Pinchuk dans la section d’art public Encounters a été acquis chez Yavuz Gallery par le HE Art Museum de Shunde, dans la province de Guangdong, pour 240 000 dollars.
La galerie Thaddaeus Ropac, l’une des 42 enseignes à revenir après la parenthèse du Covid-19, a également annoncé un certain nombre de ventes à des acheteurs asiatiques, notamment la peinture Ohne Titel de Martha Jungwirth (2022) pour 350 000 euros et À partir de zéro (2021) de Miquel Barceló pour 220 000 euros.
« Je préfère que les œuvres restent ici, plutôt que d’être achetées [en Occident, ndlr] et renvoyées dans leur pays d’origine, et j’apprécie que les foires deviennent un peu plus régionales, a déclaré Thaddaeus Ropac. Singapour ne peut en aucun cas remplacer Hongkong, alors que Séoul est plus créative [en référence à la vague coréenne dans le domaine de la musique et de l’art]. Hongkong est une plaque tournante du marché. »
Selon Leo Xu, directeur de la galerie David Zwirner à Hongkong, les collectionneurs présents à l’ouverture de la foire étaient « majoritairement asiatiques ». « Le niveau des collectionneurs de Chine continentale, qui n’ont pas pu voyager pendant trois ans, est exceptionnel », ajoute-t-il.
Les propriétaires de la foire, le groupe MCH, se sont habilement tournés vers les voisins asiatiques, en s’associant à d’autres événements et projets en Asie dans le but de consolider le statut d’Art Basel Hong Kong en tant que plaque tournante du marché (parmi les galeries participantes cette année, les deux tiers ont des espaces en Asie). L’année dernière, MCH a investi 15 % dans la nouvelle foire internationale de Singapour, Art SG, et a également soutenu la Art Week Tokyo, au cours de laquelle 350 VIP ont fait le tour de plus de 50 galeries en novembre 2022.
« Les dernières initiatives d’Art Basel et de son propriétaire MCH Group en matière de projets alternatifs semblent faire partie d’une stratégie de diversification plus large, accélérée depuis que Lupa System, la société d’investissement de James Murdoch, est devenue l’actionnaire principal de MCH Group fin 2020 », écrit Melanie Gerlis, editor-at-large du marché de l’art pour The Art Newspaper, dans le Financial Times.
Ce développement de partenariats panasiatiques semble porter ses fruits. « Il y a tellement de collectionneurs japonais à la foire, surtout des jeunes », a déclaré Taka Ishii de la galerie éponyme basée à Tokyo (28 exposants du Japon participent cette année, contre 19 en 2022). Il a notamment vendu une sculpture de Goro Kakei (Blow, 1987) pour 28 000 dollars à un collectionneur américain.
Venus en voisin, les marchands de Chine continentale sont particulièrement satisfaits d’être de retour sur la foire. Yang Shuqing, de la galerie White Space, basée à Pékin, a expliqué qu’il avait été facile d’obtenir un visa. Selon elle, « il est important d’être ici pour rencontrer des gens. Nous sommes convaincus qu’Art Basel Hong Kong apportera une nouvelle énergie à la scène artistique locale ». Dès la première heure, la galerie a vendu à un collectionneur chinois une huile sur plusieurs panneaux de He Xiangyu pour 160 000 dollars (Lizard and Cigarette, 2022).
Mais malgré ce contexte festif et des ventes solides, la ville a changé. La loi sur la sécurité nationale, mise en place courant 2020 par le gouvernement chinois, criminalise tout acte de subversion, de sécession ou de terrorisme, comportant des dispositions visant à réduire la contestation et la liberté d’expression, comme la tenue de certains procès à huis clos. « Ce n’est pas le Hong Kong de 2018 », constate un journaliste chinois qui a préféré garder l’anonymat.
« La façon dont nous gérons le marché de l’art n’a pas été affectée jusqu’à présent [par la loi], a affirmé Angelle Siyang-Le, la nouvelle directrice de la foire, à The Art Newspaper. Nous essayons de suivre la situation en permanence. Le marché continue de se développer et nous sommes convaincus que nous pourrons continuer à y organiser nos événements comme avant. »
Dans le climat politiquement tendu de l’après-pandémie, les nouveaux musées, tels que le M+ et le Hong Kong Palace Museum, constituent un baume culturel et une attraction majeure. Le M+ est un élément clé de la transformation de Hongkong en destination culturelle, lui conférant une « dynamique comparable à l’arrivée de la Tate Modern à Londres » qui valorise la métropole.
Le Suisse Uli Sigg, dont la collection d’art contemporain chinois de 1 500 pièces est exposée au M+, confirme la place de Hongkong au sein du marché mondial. « Je suis convaincu que les autres [foires de la région] ne peuvent pas offrir une telle profondeur [en ce qui concerne] l’art proposé et l’écosystème, du moins pas dans un avenir proche », analyse-t-il. Du côté des collectionneurs, Lu Jingjing, de la galerie Beijing Commune, a confié avoir été submergée par les demandes de cartes VIP. « C’est vraiment bon d’être de retour », a-t-elle déclaré.
Art Basel Hong Kong, du 23 au 25 mars 2023, Convention & Exhibition Centre, 1 Harbour Road Wan Chai, Hongkong, Chine.