Auteur d’une thèse remarquée sur les Archives de la Planète – impressionnante banque d’images de 72 000 plaques autochromes et d’une centaine d’heures filmées à travers le monde par les opérateurs du banquier philanthrope Albert Kahn entre 1909 et 1931 –, l’historien, écrivain et cinéaste Adrien Genoudet a souhaité prolonger ses recherches en créant la collection « Fléchette » avec l’éditrice Céline Pévrier, pour les éditions montpelliéraines sun/ sun. Ce titre n’a pas été choisi au hasard : le vol d’une fléchette, lancée d’un point de départ à un point cible, permet en effet une étrange trouée dans le temps, écho imagé au rapport complexe du photographique à l’historicité.
Débutée en décembre 2022, « Fléchette » propose déjà un éventail de récits inédits ancrés dans ces images si spécifiques. Leur réactivation au présent par la fiction ou l’enquête les fait échapper à la fatalité d’appartenir à un temps définitivement révolu. De contribution en contribution et au fil des années, la collection d’écrits, pensés comme des miroirs aux images fixes ou en mouvement, s’étoffera de cartes blanches offertes à une sélection d’auteurs de tous genres, avec pour unique consigne : prendre comme point d’origine (et souvent de bascule) une plaque autochrome ou une minute filmée.
Le dos tatoué d’un homme, une villa au crépuscule, un attelage de bœufs sur une place noyée de soleil et un éclair dans un champ ouvrent les quatre premiers volumes : Le Dos de l’histoire de Philippe Artières, Villa Zamir d’Hélène Gaudy, Où sont les hommes ? de Marie-Hélène Lafon et Foudres de Fanny Taillandier. Les livres sont de très beaux objets : de la qualité du papier à l’élégante typographie, de la teinte de chaque couverture inspirée par la dominante de l’autochrome choisie à sa délicate reproduction sous forme de vignette amovible, promise au déplacement, à la manipulation, au retrait.
L’enjeu de cette collection est de donner une ou plusieurs vies aux clichés, les extraire de l’obscurité (condition sine qua non de leur conservation) pour qu’à leur tour lectrices et lecteurs s’en emparent et prolongent les lignes tracées par trois écrivaines et un historien. Dans leur singularité respective, les quatre récits laissent entrevoir l’étendue du champ d’interprétation offert par les autochromes, pour peu que nos regards prennent le temps de s’y plonger et d’en trouer la surface d’un punctum cher à Roland Barthes.