Anna Boghiguian : Conversations
Les conversations d’Anna Boghiguian sont des plongées dans les œuvres de deux écrivaines, La Passion selon G.H. de Clarice Lispector et La Promenade au phare de Virginia Woolf. Dans l’espace sur rue de la galerie Campoli Presti, c’est un jardin, ou plutôt un sol de terre bordé de gros copeaux de bois et planté de petits cactus où se dressent (fixés par des aimants sur des tiges de fer) des figures peintes et découpées sur papier, des mots, des phrases en anglais en pochoir, mêlant les mots de « Lispector » à des réflexions de l’artiste. Une joyeuse abjection.
D’une autre ampleur est la conversation avec Virginia Woolf initiée à partir de La Promenade au phare. Cette fois, l’installation semble naître des monologues et des situations du roman. C’est d’abord une grande table couverte d’une toile, à la fois nappe et tableau où les mots ont été jetés ensemble avec des vues maritimes. Sont présentés des cercles de papiers, suspendus au plafond, des peintures sur des plaques de maillechort mais aussi quelques figures sur tiges qui évoquent les protagonistes du livre, particulièrement celle de Lily Briscoe, peintre, et figure centrale du roman. La complexité narrative de Woolf se traduit en une invasion de mots et d’images sur les murs et plafonds, mélange de délicatesse et de rage. Et, ici et là, cette phrase de l’insupportable Charles Tansley : « Can women be painters or writers ? » (« les femmes peuvent-elles être peintres ou écrivaines ? »).
Du 11 mars au 15 avril 2023, Campoli Presti, 4-6 rue de Braque, 75003 Paris
Oroma Elewa : Corporate Ashawo
Ashawo, lit-on sur Internet, est de l’argot nigérian pour « prostituée », le titre désignerait donc une Ashawo dotée de l’esprit d’entreprise. À l’origine de cette série d’œuvres, photos agrandies accompagnées de textes, installations et vidéos, il y eut un ensemble de performances filmées que l’artiste a diffusées sur Instagram à la fin de 2019. Dans ces interventions, elle met en scène un groupe de femmes « africaines cosmopolites intergénérationnelles » qui parlent essentiellement des hommes et des « possibilités libératrices du sexe transactionnel ». Le style des séquences est inspiré des productions de Nollywood (l’industrie cinématographique nigériane).
Oroma Elewa joue sur plusieurs niveaux d’appropriation et de détournement, un style de cinéma de grande consommation transcrit en panneaux images-textes. L’approche est alors politico-sociologique (façade de verre de la galerie tapissée de films translucides), sous la forme d’un reportage ou portrait à la Ken Lum, ou même conceptuel. Ce goût de la traduction et du détournement va jusqu’à nous proposer une vidéo sur un moniteur vintage et dans un environnement de salon, film qui n’est que le défilé, noir sur blanc, dans le plus austère des lettrages, d’un de ces dialogues. On l’aura compris, le féminisme d’Oroma Elewa se joue des catégorisations, et fait de ces material girls à la parole vraisemblablement ultra-directe, des doubles parodiques d’elle-même.
Du 12 mars au 29 avril 2023, In Situ-fabienne leclerc, 42 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Sadie Benning : Cigarette immatérielle
Air de Paris expose douze tableaux d’un même format, modeste, avec le même large intervalle entre eux. Cet espacement affirme l’identité propre de chacune des œuvres et écarte l’idée de série. Des miniatures abstraites, même s’il s’y glisse parfois des motifs végétaux ou floraux. Petits formats, gouaches, bribes de poèmes, et par en dessous ou sur les bords, le motif du tissu imprimé qui apparaît parce qu’on ne veut pas l’oublier. Les supports de toile utilisés sont variés : de la rayonne au tissu imprimé et même le lin épais, utilisés sans préparation avec une gouache acrylique. S’il fallait nommer un thème, ce serait celui de la transformation : des images en mutation, que ce soit sous l’effet de la lumière, du mouvement des pixels, ou de jeux de mémoire. Il paraît que décors et costumes du Jardin des Finzi Contini [film de Vittorio De Sica] ont constitué une source d’inspiration.
Crépitements de couleurs et décrépitude de l’image sont au programme, avec des trames flottantes psyché, des rappels du nabisme, et des effets qui évoquent davantage une image qui se change en une autre sur un écran d’ordinateur. Dans Pareil pour l’air, peint sur une toile de lin épaisse, avec quelques manques, Sadie Benning nous offre une vision super-macro du travail du peintre. Dans d’autres tableaux, un arbre ou des arbres nous donnent un point de repère, fixent l’axe de la rêverie. L’ensemble forme un mouvement des idées, des sentiments réunis en un même espace et sur lequel sont venus se poser des titres aussi poétiques qu’énigmatiques.
Du 12 mars au 29 avril 2023, Air de Paris, 42 rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Circulus. Une invitation à Colette Barbier
Pour avoir accueilli tant d’artistes et de commissaires, les engagements et les passions de Colette Barbier [ancienne directrice de la Fondation d’entreprise Pernod Ricard à Paris] ne nous sont pas tout à fait inconnus. Mais en répondant à l’invitation qui lui a été faite par la Galerie Papillon, c’est la première fois sans doute qu’elle s’autorise à dire « je », livrant avec « Circulus » un portrait et une forme de bilan. C’est d’abord la figure du clown, double de l’artiste qui est invoquée, aussi bien à travers un souvenir personnel, qu’à travers un jeu de miroirs avec Nina Childress. Un autoportrait de celle-ci, dans le style dessinateur de rues, accompagne le communiqué de presse et un portrait de Sylvie Vartan à nattes, sur fond de papier-miroir justement, rayonne d’un éclat particulier.
Thème associé au clown, celui du grotesque, qu’il soit de type ornemental (Carlotta Bailly-Borg) ou carnavalesque (les poupées de Lucile Littot, le costume d’Arlequin sur fond de tissu wax de Chloé Quenum). À travers ces exemples (et tous ceux que nous ne pouvons pas citer), la commissaire adresse un salut à une certaine scène artistique, plutôt narrative, et où le sourire l’emporte. Dans l’exposition, les œuvres d’Elsa Sahal ont un rôle structurant, reliant le grotesque à des questions d’équilibre que partagent la sculpture et le cirque. Dans ce théâtre porté par le rythme et la grâce, la vidéo de Jean-Claude Ruggirello donne une belle leçon de destruction rampante et signe comme la sortie des artistes.
Du 11 mars au 6 mai 2023, Galerie Papillon, 13 rue Chapon, 75003 Paris