Beau et étrange mot… « L’Irrésolue » procède au Plateau d’un paradoxe apparent : comment mettre en scène de façon résolue, par l’intermédiaire de la photographie, la peinture ou la sculpture, des images de la vie que la commissaire Anne-Lou Vicente qualifie d’irrésolue dans l’exposition singulière qu’elle propose ? À travers les pièces de six femmes artistes – Nadia Belerique, Camille Brée, Éléonore Cheneau, Joanna Piotrowska, Leslie Thornton, Céline Vaché-Olivieri –, interrogeant les notions d’indicible et de suspens, le parcours erratique auquel elle invite le visiteur s’ajuste sensiblement à l’idée qui le guide : on flotte, on hésite, on regarde, traversé par des sentiments confus, comme si l’on était contaminé par les œuvres nourries par cette pensée de l’indétermination.
UNE TENSION PERCEPTIBLE
Le tour de force de l’exposition tient à cette tension que les pièces maintiennent entre le programme de l’indécision et le geste d’affirmation qui l’honore et le consacre sensiblement. À la fois happé et flottant, le public erre à la hauteur des œuvres suspendues, par-delà la réalité, voire au-dessus du sol, à l’image des ventilateurs accrochés au plafond surplombant l’installation délicate de Nadia Belerique, SLICE : une création composée de plusieurs dizaines de microtrappes en Plexiglas, destinées à capturer des souris pour les évacuer de nos intérieurs sans les blesser. Entre ces mini-réceptacles à même le sol, comme au sein des salles du Plateau, on va et vient, on s’insinue, on se fond dans le décor, à la mesure des mots, dignes d’un statment, écrits par Anne-Lou Vicente : « Je me déplace, je me disperse, je me dissipe […], je suis inaudible, je suis invisible, je suis indéterminée, je suis indécise, je suis irrésolue, je suis interminable. »
Entre apparition et disparition, entre présence et absence, les deux installations lumineuses de Camille Brée traduisent discrètement cette façon de penser et d’avancer de manière irrésolue, comme si rien n’était jamais certain, comme si une réalité insidieuse se dissimulait face à nous, voire en nous-mêmes, tel un mirage lumineux irradiant un espace de béton froid. Captant l’attention du spectateur vers des interstices, elle modifie ici notre perception du lieu en nous attirant vers ce qui n’est pas apparent. C’est le hors-champ qu’elle célèbre à travers de simples filtres de lumière rouge sortant des murs : des ouvertures vers des horizons du possible.
Plus frontale, mais oblique à sa manière, Céline Vaché-Olivieri pose sur une grande table des cartons récupérés dans l’espace public, décomposés couche par couche. Obsédée par les gestes de recouvrement, elle fixe des objets pour en faire des traces en devenir. Il faut beaucoup de détermination et d’attention au monde pour faire de ces gestes exposés, tenant tant de l’indicible, un éloge.
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« L’Irrésolue », 26 janvier-23 avril 2023, Le Plateau, Frac Île-de-France, 22 rue des Alouettes, 75019 Paris.