C’est sous les ors de l’amphithéâtre d’honneur des Beaux-Arts de Paris, entre Le Génie des arts entouré des artistes de tous les temps distribuant des couronnes de Paul Delaroche et Romulus, vainqueur d'Acron de Jean-Auguste-Dominique Ingres – là même où Charles Garnier et Jean-Baptiste Carpeaux furent jadis couronnés du Grand Prix de Rome –, qu’a été dévoilé le 14 mars le projet pour le Pavillon français de la 18e Exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia, sous l’égide du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, du ministère de la Culture et de l’Institut français. Tout un symbole, dans cette école qui forme la jeune garde des artistes, que côtoient les futurs architectes de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais adjacente.
Conçu par l’agence d’architecture parisienne Muoto, lauréate du concours, associée à Georgi Stanishev et Clémence La Sagna pour la scénographie, Jos Auzende, commissaire associée, et Anna Tardivel pour la programmation, le projet Ball Theater – La fête n’est pas finie n’est pas sans évoquer une boule à facettes, écrin métaphorique du concept festif et immersif qui le sous-tend, au diapason du thème retenu par Lesley Lokko, la commissaire de cette édition : « Le Laboratoire du Futur ». Ce théâtre hémisphérique, qui viendra s’insérer à l’intérieur du Pavillon français, a vocation, selon ses concepteurs, « à réveiller nos désirs d’utopie », et nous réserver « des moments de découverte et d’euphorie dans un contexte d’urgence, d’austérité et d’angoisse climatique ».
« C’est un laboratoire des identités, des imaginaires, un lieu de création et pas uniquement de présentation ; un dispositif scénique qui expérimente les modèles de représentation, qui correspond à ce que nous sommes en train de vivre, et qui permet de se projeter dans un ailleurs, explique Gilles Delalex, commissaire et cofondateur du studio Muoto avec Yves Moreau. Ce n’est pas une exposition, une rétrospective ; c’est une proposition qui s’inscrit dans la prospective. La question posée est celle de notre rapport au monde, qui est un peu en quête de futur. »
La forme de la structure n’a pas été choisie au hasard : la sphère renvoie aux architectures de la révolution, aux constructivistes russes. C’est aussi la planète. L’installation, qui véhicule un message et invite à vivre une expérience, convoque ainsi nombre des tropismes de l’époque : l’urgence écologique face à la crise du vivant, la critique de l’héritage colonial, la question des identités, du genre… Ambition affichée : « faire un pas de côté, mettre en jeu le son, l’espace et le corps, pour sortir de la paralysie, entre moments de méditation et fêtes. Une architecture fiction, espace performatif, participatif et chambre d’écho, pour trouver des espaces autres, tourner notre regard vers des possibles à travers la quête d’émancipation collective. C’est en s’affranchissant des codes, des normes que s’expérimentent des mondes, des alternatives à notre manière d’habiter la planète, de vivre ensemble », poursuit Jos Auzende.
Quand ils ne traverseront pas « un paysage sonore fantomatique », les visiteurs pourront se joindre à des événements, notamment des « bals » durant les six mois de la biennale. Au programme : des résidences-ateliers pluridisciplinaires conjuguant art, architecture et recherche. Radio Utopia ouvrira le bal… soit un studio de radio, jouant l’interaction avec le public. Suivront The joy of tilting – à l’initiative de l’atelier « Architecture de la foule » de l’ENSA Bretagne –, ou After the revolution, proposé par l’ENSA Saint-Étienne. En référence aux ballrooms de la communauté LGBT africaine-américaine et latino à New York dans les années 1960 et 1970, un « bal interlope » invitera Vinii Revlon, « légende » du voguing français. Frédérique Ait-Touati, Emanuele Coccia et Duncan Evennou seront quant à eux les invités du « bal de la Terre », 44 ans après le Teatro del Mondo d’Aldo Rossi. Le tout au sein d’un projet « à mi-chemin entre la cabane primitive post-croissance et la capsule high-tech ». Le monde va mal ? Venise est une fête !
Le catalogue du projet, Lorem ipsum (Éditions Caryatide, 64 pages illustrées en couleur), prend, lui, la forme originale d’un roman-photo, réalisé par le dessinateur Ugo Bienvenu.
Pavillon français, 18e Exposition Internationale d’Architecture – La Biennale di Venezia, du 20 mai au 26 novembre 2023, Giardini, Venise.