Pour les artistes comme pour les collectionneurs, faire entrer dans les musées les œuvres dont ils sont les auteurs ou les propriétaires est synonyme de prestige et peut être bénéfique financièrement. L’inclusion d’œuvres dans une exposition temporaire ou une collection permanente vaut validation, et plus le musée est important, plus celle-ci est grande.
Lorsqu’une œuvre entre dans une institution, « vous avez la preuve que la pièce est de qualité muséale, affirme Michael Duffy, responsable de la gestion artistique chez Merrill Lynch, Bank of America. Cela a un effet très positif sur l’évolution des prix ». Il note que les musées ne veulent pas être considérés comme le « service marketing du collectionneur », mais les recherches menées sur les pièces par les conservateurs et les chercheurs, notamment la vérification de la provenance d’un objet, donnent confiance aux acheteurs potentiels. C’est une situation gagnante-gagnante pour les prêteurs comme pour les musées.
Cependant, les fermetures pendant la pandémie, durant lesquelles les institutions ont été gérées et surveillées par un personnel réduit au minimum, et les récentes manifestations qui ont spécifiquement ciblé des œuvres, ont rendu les prêteurs potentiels de plus en plus frileux. Selon l’avocate new-yorkaise spécialisée dans l’art Susan Duke Biederman, « nous sommes entrés dans un nouveau monde instable », dans lequel les contrats de prêt entre collectionneurs et musées sont de plus en plus élaborés et comportent des clauses couvrant des événements qui semblaient autrefois improbables mais qui sont désormais possibles.
« Que se passe-t-il si tout est fermé et que vous ne pouvez pas engager de personnel de sécurité ?, demande-t-elle. La sécurité est-elle le fait de gardiens ou simplement de caméras ? La sécurité est-elle assurée 24 heures sur 24, et les gardiens sont-ils armés ? Si l’œuvre reste dans un musée postérieurement à la date de fin du contrat de prêt, l’assurance paiera-t-elle si des dommages ont lieu à l’issue de ce terme ? »
Les contrats de prêt ne sont pas nouveaux et ont toujours comporté des clauses détaillant leurs modalités, prévoyant des invitations aux vernissages, la façon dont les objets seront exposés, comment les œuvres seront attribuées et comment elles seront présentées dans les documents d’accompagnement à la visite, qui réalise les rapports d’état, toute restauration ou intervention qui pourrait être nécessaire et qui l’effectue. Sont aussi abordées les questions de droits d’auteur, ainsi que la prise en charge des caisses, du transport, de l’installation et de l’assurance des pièces. Conscients de l’impact de ces prêts sur le marché, certaines institutions ajoutent une clause qui interdit aux prêteurs de mettre en vente l’œuvre empruntée pendant plusieurs années après son exposition.
L’assurance est souvent le plus grand sujet d’inquiétude en raison du risque de dommages, qui sont généralement involontaires. Souvent, les contrats de prêt comportent une clause de force majeure qui traite des circonstances imprévues (pandémies, tremblements de terre, infestations d’insectes, terrorisme et guerre, entre autres). En revanche, le fait que des manifestants climatiques aient jeté de la soupe à la tomate sur les Tournesols de Van Gogh à la National Gallery de Londres était « certainement imprévu mais relève de la définition des dommages intentionnels », selon Leila Amineddoleh, avocate spécialisée en art à New York. Ce type d’événement « devrait être réglé par un accord ».
D’autres problèmes peuvent survenir. Un musée privé peut faire faillite, ce qui amène les créanciers à tenter de saisir les actifs pour couvrir les dettes (les prêteurs peuvent demander à être prioritaires par rapport aux autres créanciers pour récupérer leurs objets) ou, dans le cas de prêts à long terme, oublier qu’une pièce a été prêtée et la vendre (des procès pour récupérer la somme à laquelle a été vendue l’œuvre s’ensuivent généralement).
Les contrats de prêt visent à parer à toutes les éventualités, mais il arrive que tout ne soit pas clairement énoncé. En cas de dommage, le prêteur et l’assureur peuvent ne pas être d’accord sur la couverture et la réparation, ce qui oblige le collectionneur à négocier directement avec la compagnie d’assurances ou à engager des poursuites contre elle. Dans les contrats de prêts qu’il a négociés, l’avocat Ralph Lerner a cherché à obliger les musées à ne pas se désister en cas de litige. « Je fais clairement comprendre que le collectionneur ne prête pas cette œuvre d’art à la compagnie d’assurances, mais au musée, et que ce dernier doit donc s’occuper de tout », dit-il.
Le conseiller en art Todd Levin met généralement en garde contre les prêts aux musées, surtout si une pièce est ancienne ou fragile. Comme il le dit : « Des objets sont régulièrement endommagés dans les musées. On dit souvent aux collectionneurs qu’une plus grande exposition augmente le prix potentiel de leurs œuvres, mais le prêt peut aussi avoir un effet délétère sur le prix en cas de dommage. »