L’art créé à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) est en plein essor. Qu’il s’agisse d’expositions dans des galeries commerciales – à l’instar des peintures grand format générées par des algorithmes de Jon Rafman chez Sprüth Magers à Londres (« Ebrah k’dabri », jusqu’au 25 mars) – ou de la résidence d’artistes PATH-AI organisée en collaboration avec la Somerset House de Londres, les projets artistiques liés à l’IA surgissent partout. Une image générée par le programme d’IA Midjourney, Théâtre D’opéra Spatial de Jason Allen, a même remporté un prix d’art numérique à la Colorado State Fair en 2022, suscitant une vive réaction sur les médias sociaux, qui y ont vu la « mort » de l’artiste.
L’art généré par l’IA produit des œuvres grâce à l’apprentissage automatique, en utilisant des algorithmes autogénérateurs qui puisent leurs connaissances dans des données, explique Adam Hencz, spécialiste de ces technologies. « L’art IA est le résultat d’une collaboration entre un artiste et un système d’IA, mais le niveau d’autonomie peut varier considérablement, et le résultat dépend fortement de la qualité des données à partir desquelles l’IA apprend », écrit-il dans la revue Artland.
Il existe plusieurs sous-ensembles d’IA, notamment l’apprentissage profond [deep learning], qui permet à un système informatique d’apprendre précisément comment effectuer une tâche ; les réseaux neuronaux artificiels, qui simulent les processus du cerveau humain ; et l’IA intégrée, qui contrôle un objet physique tel qu’un corps ou un bras de robot.
Les artistes actifs dans ce domaine soulignent que l’IA entraîne un changement de paradigme. « J’utilise l’IA sous une forme ou une autre depuis que j’ai commencé à faire de l’art sur ordinateur dans les années 1990, explique Jon Rafman. Je n’ai vraiment commencé à utiliser des outils d’IA générant des images que vers 2020. Mais les niveaux de sophistication des algorithmes d’IA se sont développés si rapidement que j’ai l’impression d’être passé en deux petites années de l’utilisation d’une lyre vieille de 3 000 ans à un violon Stradivarius. »
Son film de 40 minutes présenté à la galerie Sprüth Magers, Counterfeit Poast (2023), est entièrement généré à partir de l’imagerie de l’IA. Les personnages qui y figurent sont animés grâce à une application sur iPhone de capture de mouvements faciaux. « L’IA a le potentiel d’ouvrir les portes à de nouvelles perceptions de la création d’images, tout comme le développement de la photographie a libéré la peinture de la représentation purement factuelle et a permis aux peintres de se concentrer sur d’autres dimensions, comme la couleur, la lumière et le mouvement », ajoute Ron Rafman.
L’artiste numérique allemand Mario Klingemann travaille avec l’IA depuis 2015, développant des œuvres telles que Memories of Passersby 1 (2018), qui emploient un système de réseaux neuronaux pour générer un flux incessant de portraits. « Je pense que les artistes devraient adopter ou au moins essayer les possibilités offertes par l’IA, dit-il. Cette technologie va devenir la nouvelle norme. »
Il explique comment il utilise l’IA, créant des œuvres où les frontières entre l’influence humaine et la création par la machine deviennent de plus en plus floues. Botto, par exemple, est un projet visant à créer une entité qui peut être perçue comme un artiste autonome. « Il s’agit d’un hybride entre une IA qui prend ses propres décisions créatives et une communauté d’intervenants humains qui votent en fonction des propositions de Botto et, par conséquent, contrôlent la production et dirigent indirectement le développement artistique de la machine », explique-t-il.
Trois artistes ont été sélectionnés pour le programme de résidences à distance PATH-AI, d’une durée de six mois, mis au point par l’Alan Turing Institute de Londres, l’université d’Édimbourg et l’institut de recherche RIKEN au Japon. Les œuvres inspirées par l’IA de Nouf Aljowaysir, Chris Zhongtian Yuan et Juan Covelli sont présentées sur Channel, l’espace en ligne de Somerset House. Nouf Aljowaysir, qui vit à Brooklyn, a réalisé un film, Ana Min Wein (Where Am I From ?), dans lequel elle revient sur son arrivée aux États-Unis, en retraçant l’histoire de la migration de sa famille à travers l’Arabie saoudite et l’Irak. Un assistant d’IA l’accompagne dans son voyage.
La révolution artistique que constitue l’utilisation de l’IA met également à jour des questions éthiques et juridiques autour du concept de propriété intellectuelle. La question de savoir si les œuvres générées par l’IA peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur varie d’un pays à l’autre, explique Cem Dilmegani, analyste au sein de la société de recherche technologique AIMultiple. « En général, nous pouvons dire qu’une participation humaine substantielle est requise pour son éligibilité », ajoute-t-il.
Les systèmes d’IA augmentent la productivité de ceux qui les adoptent, de sorte que les artistes travaillant dans des domaines où la quantité et la rapidité sont des facteurs primordiaux devront s’adapter pour survivre, affirme Perry Jonsson, un cinéaste basé à Édimbourg qui crée également de l’art numérique à l’aide d’outils d’IA. Toutefois, il met également en garde contre « un déclin constant vers la monoculture, où tout se ressemble et produit la même impression ».
En ce qui concerne l’IA sur le marché de l’art, Perry Jonsson estime qu’il faut s’attendre à une baisse de la valeur à mesure que croît l’offre d’œuvres moins chères. « Lorsque tout le monde pourra générer des images sur mesure en quelques secondes avec seulement quelques mots-clés et un clic sur un bouton, cela ne pourra que conduire à un marché saturé, conclut-il. Il va sans dire que la boîte de Pandore a été ouverte. »