Depuis peu, à l’instar de Paris, Berlin, Vienne, Lisbonne et Luxembourg, la manifestation bruxelloise fait partie du réseau des Mois européens de la photo (EMOP), gage de la reconnaissance internationale de l’événement.
Si toutes les expositions sont ouvertes en février, l’agenda est des plus extensibles, puisque certaines manifestations qui ont débuté fin novembre se terminent en mars, avec un vaste échantillon de manifestations réparties entre ces deux dates, certaines se prolongeant même largement au-delà.
Comme toujours, l’exposition collective du Hangar constitue le temps fort du festival, même d’autres événements de premier plan se déroulent dans d’autres lieux cette année. Elle est consacrée à l’autoportrait sous le titre de « Mirror of Self » et rassemble une vingtaine d’artistes d’origines et d’horizons différents. Dix-sept d’entre eux ont été directement invités et les six autres sont lauréats d’un appel à projet qui a attiré plus de trois cents candidats. À l’ère des selfies, les organisateurs se sont posé une double question : où en est l’autoportrait dans le monde de la photographie contemporaine et que représente encore sa pratique artistique ? À quelques exceptions près, les réponses à ces deux questions se révèlent pertinentes et aboutissent à une exposition foisonnante dans laquelle les découvertes sont nombreuses et les confirmations tout autant.
Avec une belle cohérence, le Centre culturel coréen reprend la même thématique avec son exposition « Who Am I », regroupant cinq artistes, dont Jeong Yun Soon également présent au Hangar. Ici aussi l’introspection se mêle à la fiction, l’onirisme à la réalité, la douleur à la joie.
Du côté des expositions personnelles, trois d’entre elles s’assimilent à des rétrospectives et sortent du lot. Sous le très juste titre « Lignes d’ombre », la Fondation A retrace le parcours de la photographe mexicaine Graciela Iturbide, désormais octogénaire. Au travers de plus d’une centaine de tirages, en majorité de petits formats, on la suit dans la mise en valeur de son propre pays et de ses habitants, qu’elle commence à photographier au début des années 1970. Elle s’attarde particulièrement sur la place des femmes dans la société mexicaine, sur leur rôle et leur influence.De l’Amérique du Sud à l’Inde, de la communauté mexicaine en Californie jusqu’à ses voyages en Europe, ses préoccupations restent identiques tout en s’élargissant au paysage et à la nature, photographiés avec la même intensité.
L’exposition à ne pas manquer est évidemment celle que l’Espace Vanderborght consacre à Peter Lindbergh, qui était bien plus qu’un photographe de mode. La sélection et l’ordonnance des séquences d’« Untold Stories » ont été conçues par l’artiste lui-même quelques mois avant son décès en 2019, dressant ainsi un panorama hors norme d’une œuvre bien plus riche qu’on ne pouvait le soupçonner. Le modèle féminin laisse ici la place à la femme, dont il parvient à faire ressentir les émotions et le charisme. L’un des étages de l’étape bruxelloise de cette exposition est consacré à une série inédite, la seule en couleur, intitulée « Testament ». Réalisée en Floride en 2013, elle est constituée de visages d’un prisonnier américain d’une soixantaine d’années, condamné à mort. Photographiés à travers un miroir sans tain, les portraits de cet échange silencieux sont d’une puissance douloureuse, en particulier la séquence vidéo. On n’en sort pas indemne.
Il en va de même pour l’exposition que le Musée Juif de Belgique dédie au vingtième convoi qui quitta la Belgique pour Auschwitz. Il transportait 1 631 déportés dont 236 ont pu être sauvés grâce à des actions de Résistants. Le photographe Jo Struyven est revenu sur les paysages de ce parcours dont plus rien ne laisse transparaître des drames qui s’y sont joués. Deux peintures de Luc Tuymans y figurent en écho.
Parmi les expositions collectives, il est encore temps d’aller visiter le diptyque que La Centrale et Le Botanique consacrent à la collection des « photos brutes » de Bruno Decharme, soit les premier et deuxième volets d’un gigantesque ensemble révélé lors des Rencontres d’Arles en 2019 (lire The Art Newspaper édition française, janvier 2023).
Sous le titre « Notre cinéma intérieur », l’espace industriel Elevensteens rassemble six auteurs, dont Guillaume Lemarchal (lauréat du Prix HSBC pour la photographie en 2008), autour de la notion de perception, en partant du postulat « que, comme au cinéma, une œuvre photographique serait la résultante d’un savant montage fait par l’artiste et le spectateur ».
Avec ce programme nourri, le Photo Brussels Festival semble désormais avoir atteint sa vitesse de croisière.
« Mirror of Self », jusqu’au 25 mars, Hangar, 18 place du Châtelain, 1050 Bruxelles, www.hangar.art
« Who Am I », jusqu’au 31 mars, Centre culturel coréen, 4 rue de la Régence, 1000 Bruxelles, www.brussels.korean-culture.org.
« Graciela Iturbide, Lignes d’ombre », jusqu’au 2 avril, Fondation A, 304 avenue Van Volxem, 1190 Bruxelles, www.fondationastichting.com
« Peter Lindbergh. Untold Stories », jusqu’au 14 mai, Espace Vanderborght, 50 rue de l’Écuyer, 1000 Bruxelles, www.peterlindbergh-brussels.com
« Jo Struyven. 236, Histoires d’un convoi d’un déporté », jusqu’au 14 août, Musée juif de Belgique, 21 rue des Minimes, 1000 Bruxelles, www.mjb-jmb.org.
« Photo Brut # 1 » et « Angel Vergara », jusqu’au 19 mars 2023, La Centrale, 45 place Sainte-Catherine, 1000 Bruxelles, www.centrale.brussels
« Photo Brut # 2 », jusqu’au 19 mars 2023, Le Botanique, 236 rue Royale, 1210 Bruxelles. Catalogue.
www.botanique.be.
« Notre cinéma intérieur », jusqu’au 12 mars, Elevensteens, 11 rue Steens, 1060 Bruxelles, www.elevensteens.com