À Madrid, les incertitudes économiques et les revirements politiques des pays d’Amérique latine font le miel de la foire Arco, qui se tient jusqu’au dimanche 26 février à l’Ifema, centre des congrès à vingt minutes en voiture du centre-ville. De plus en plus de collectionneurs traversent l’Atlantique pour déménager à Madrid ou, tout du moins, y établir un pied à terre. « Ce mouvement s’est accentué ces dernières années », confirme Maribel López, directrice d’ArcoMadrid. Conséquence : « Depuis deux ans, nous avons davantage de galeries d’Amérique du Sud qui participent à la foire, tandis que plusieurs enseignes latino-américaines ont ouvert des espaces à Madrid », poursuit-elle. Tels Ginsberg (Lima), Hilario Galguera (Mexico) ou Rosenblut Friedmann (Santiago). Du pain bénit pour les galeries espagnoles bien sûr, mais aussi les enseignes étrangères, qui bénéficient de ce flux. Ce n’est sans doute pas un hasard si la foire accueille cette année pour la première fois les galeries françaises Ceysson Bénétière, christian berst art brut ainsi que Semiose et la galerie Suzanne Tarasieve, qui rejoignent des habitués tels que mor charpentier, Bendana Pinel, Jocelyn Wolff… La foire compte aussi un fort contingent d’enseignes allemandes ou basées en Allemagne, de carlier | gebauer (qui a ouvert il y a quatre ans un espace à Madrid) à neugerriemschneider, en passant par Mehdi Chouakri.
Ce dernier, qui consacre un très beau focus à Sylvie Fleury, est revenu en 2022 après une longue pause. « Exposer ici nous permet de nourrir les contacts avec l’Amérique du Sud, sans devoir aller participer à une foire sur place, ou même à Miami. C’est aussi meilleur pour l’environnement ! », confie-t-il. Un constat observé par de nombreux autres exposants à qui nous avons parlé. Et de poursuivre : « Arco est pour moi la deuxième meilleure foire d’Europe continentale, derrière Art Basel et Paris + par Art Basel ». La galerie a cédé de nombreuses pièces à des clients d’Amérique du Sud, mais aussi des Français et des Allemands. « Nous avons rencontré des Sud-Américains que je voyais autrefois là-bas, explique Juan Carlos Bendana-Pinel. Sans compter des ventes à une grosse collection de Hambourg, en Allemagne, à une Norvégienne assez jeune, à deux Américains… » Le galeriste s’est ainsi dessaisi d’œuvres notamment de Sandra Vásquez de la Horra et Miguel Rothschild, dont deux « ciels » se trouvent dans la collection de la Fondation Carmignac. Une spectaculaire installation photographique de l’artiste déployée sur deux murs d’angle attendait preneur le 23 février.
Espagne oblige, plusieurs galeries commémorent à leur façon le cinquantenaire de la disparition de Picasso. Ainsi, la galerie Max Estrella avec une cabane-refuge d’Eugenio Ampudia recouverte d’une reproduction à taille réelle de Guernica, qui se veut aussi une allusion directe au conflit russo-ukrainien (60 000 euros)… De l’autre côté de l’allée, chez ADN Galeria, un gisant représente l’artiste catalan dans l’une de ses tenues les plus familières, allongé sur son lit de mort, par Eugenio Merino, artiste qui a déjà fait beaucoup parler de lui en 2010 à l’Arco. Comptez cette fois 45 000 euros l’édition de trois, le numéro 1 ayant été vendu précédemment à une collection mexicaine. « Nous avons eu plus de ventes et vu bien plus de monde que les années précédentes », confie le galeriste, qui a cédé des pièces à des Espagnols, une célèbre collectionneuse bruxelloise ou encore à un collectionneur allemand.
De son côté, Ceysson & Bénétière a vendu une œuvre de Wilfrid Almendra, et reçu un vif intérêt de la part d’institutions et de curateurs pour cet artiste et pour Aurélie Pétrel, et rencontré des collectionneurs espagnols en nombre, mais aussi des Belges, des Anglais et des Français.
Offrant une grande diversité de pratiques et d’artistes, avec 214 galeries aux stands vastes et soignés, cette édition d’Arco accueille toutefois à nouveau peu de méga galeries en raison du plafond de verre qui demeure pour les œuvres les plus chères. Le salon peut compter cette année sur David Zwirner et le fidèle Thaddaeus Ropac. La première a cédé entre autres une œuvre de Lucas Arruda, qui bénéficie en ce moment d’une exposition présentée par la Fundación Sandretto Re Rebaudengo Madrid à l’Ateneo de Madrid, curatée par Hans Ulrich Obrist. Cependant, la foire a trouvé une solution intelligente pour faire participer de bonnes galeries habituées de la foire Art Basel : elles ont été invitées gracieusement dans l’intéressant focus sur la scène méditerranéenne, à l’image de la galerie Mennour qui présente trois sculptures murales de Mohamed Bourouissa. Le galeriste parisien, heureux d’avoir rencontré des représentants d’importantes institutions internationales, salue cette présentation « digne d’une Kunsthalle ». En attendant de prendre un stand l’année prochaine ?
ARCOmadrid, jusqu’au 26 février 2023, Ifema, av. del Partenón, 5, 28042 Madrid, Espagne.