Comment réinventer un musée, qui a traversé les décennies, qui puise ses fondements dans les temps anciens où ces institutions ont été forgées ? Comment donner une couleur contemporaine et moins intimidante à cet imposant bâtiment de style « beaux-arts » dû à l’architecte suisse Marc Camoletti qui, lors de ses études à Paris, semble avoir été marqué par les grandes réalisations du Second Empire, jusqu’aux Petit Palais et au Grand Palais des Champs-Élysées ? Comment porter un nouveau regard sur une collection dont l’histoire remonte au décret Chaptal du 1er septembre 1801 et aux dépôts d’œuvres faits par l’État français dans les grandes villes de province en cette époque napoléonienne, tableaux que le musée suisse continue d’accrocher sur ses cimaises… À ces questions, Marc-Olivier Wahler répond à sa manière depuis son arrivée à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève en 2019. Il a notamment lancé des cartes blanches XL pour élargir le champ de vision, d’abord à Jakob Lena Knebl (« Walk on the Water / Marcher sur l’eau », 2021), puis à Jean-Hubert Martin (« Pas besoin d’un dessin », 2022). C’est aujourd’hui l’artiste Ugo Rondinone qui s’empare du musée, de ses collections, de ses espaces, pour y présenter également ses propres œuvres. Comme dans la vidéo ensorcelante burn to shine que le Suisse avait présentée à l’automne 2022 au Petit Palais à Paris, il est ici aussi question de soleil et de nuit dans cette exposition intitulée « The sun goes down and the moon comes up » (jusqu’au 18 juin 2023). Le visiteur est d’ailleurs accueilli par The Sun (2017), un grand cercle en bronze doré de 5 mètres de diamètre. L’artiste-commissaire rend hommage dans son parcours à deux grands peintres suisses dont les œuvres se déploient symétriquement à partir de l’entrée : Hodler et Vallotton. Le dispositif mis en place permet d’ailleurs d’appréhender chaque pièce recto verso. Chez Ugo Rondinone, la question du rythme est centrale, comme celle de ces dizaines d’horloges qui scandent le temps. C’est là, dans un coin, qu’une porte dérobée s’ouvre subrepticement sur deux salles secrètes, qui n’apparaissent même pas dans le livret de visite. Les deux faces du jour et de la nuit y apparaissent à nouveau, de la lumière colorée à l’univers noir qui confine au cachot médiéval avec ses heaumes accrochés aux murs. Dans cette institution conçue pour accueillir les artistes, Ugo Rondinone s’approprie l’espace et les collections, dialogue avec les lieux, pour proposer un voyage jubilatoire, entre le passé, le présent et l’éternel.
Ugo Rondinone réenchante le Musée d’art et d’histoire de Genève
20 février 2023
L'éditorial de la semaine
La semaine de l'art vue par le directeur de la rédaction de The Art Newspaper France.