À Jean Dubuffet, Gaston Chaissac affirmait qu’il écrivait beaucoup dans l’espoir que ses lettres fussent collectionnées « en premier ». Tout comme les deux visages de Janus, Gaston Chaissac artiste ne peut être appréhendé sans Gaston Chaissac écrivain. Outre ses textes et écrits poétiques, ce dernier a produit au cours de sa vie un monument épistolaire sans pareil, rédigeant cinq à six lettres par jour, qui lui ont permis de tisser des liens avec ses contemporains : Raymond Queneau, Jean Dubuffet, Anatole Jakovsky et bien d’autres. À travers ce foisonnement manuscrit, la personnalité et les engagements de Gaston Chaissac se dévoilent sous une plume lucide et mordante qui laisse entrevoir son désenchantement face au monde. S’il demeure d’abord enclin à l’utopie, il emprunte rapidement un ton amer et ironique. Ses lettres illustrent en outre son « besoin paradoxal de distance et de proximité », lui qui, depuis 1942, s’était installé dans une solitude vendéenne.
ENTRELACER TEXTE ET ART
Comme une antichambre essentielle à son œuvre, l’analyse minutieuse du personnage Chaissac et de sa correspondance permet à Henry-Claude Cousseau d’amener son ouvrage vers un examen approfondi des créations de ce « peintre rustique moderne » autoproclamé, dont la pratique aura servi à diffuser les idées : « Ma peinture doit certainement me faire suffisamment remarquer pour qu’on prête quelque attention à ce que j’ai à dire. » Il n’hésitera pas à mêler les deux, intégrant le texte à ses peintures.
Créateur d’images spontanées et expérimentales, Gaston Chaissac a toujours œuvré au décloisonnement de sa pratique, s’inspirant largement des peintures d’enfants, rhabillant une cafetière d’un collage, transformant une branche d’arbre ou une pierre en sculpture peinte, utilisant une porte de placard en guise de toile ou encore un panier tressé qu’il peint au Ripolin. Aux yeux d’Henry-Claude Cousseau, « Chaissac est sans aucun doute l’un de ceux qui auront contribué de la manière la plus franche à désinhiber les relations entre art majeur et art mineur, noble et populaire ». Dans un contexte particulier pour l’histoire de l’art et celle des idées, moment charnière où les avant-gardes se dispersent pour laisser des voies inédites émerger, Gaston Chaissac incarne à lui seul les mutations de la modernité. Mettant volontairement à égalité le peintre et l’écrivain, Henry-Claude Cousseau dresse un portrait exhaustif de cet artiste singulier, qui fera date dans l’étude de son œuvre et dans l’histoire de l’art moderne.
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Henry-Claude Cousseau, Gaston Chaissac, Paris, Flammarion, 2022, 320 pages, 70 euros.