C’est au cœur du quartier diplomatique, à deux pas de l’ambassade du Liban mais aussi de celles de nombreux pays du Golfe, que Menart Fair a ouvert ses portes le 2 février 2023. Elle s’y tient jusqu’au 5 février, en parallèle de la Brafa. Quoi de plus indiqué pour cette « boutique fair » qui joue les ambassadeurs de l’art du Mena (Middle East & North Africa) auprès des collectionneurs et des institutions ? Après deux éditions à Paris, sa fondatrice, Laure d’Hauteville, et sa directrice artistique, Joanna Chevalier, ont choisi un lieu emblématique pour tester le public belge : le superbe cadre Art déco de la Villa Empain, qui abrite les activités de la Fondation Boghossian, précisément tournée vers le Liban et la Méditerranée. Sur la vingtaine d’exposants, de nouveaux participants, souvent des enseignes qui viennent de se lancer, apportent du sang neuf à l’événement.
Diplomates, collectionneurs belges, français ou du Moyen-Orient et représentants d’institutions comme l’Afalula, sont venus à un vernissage bondé, qui a bénéficié du réseau tissé depuis des années par Laure d’Hauteville, à l’origine de la Beirut Art Fair. Si certains collectionneurs notables basés à Bruxelles étaient absents, pris par d’autres événements artistiques à l’autre bout du monde dans un calendrier bien rempli, d’autres étaient au rendez-vous. « J’ai été agréablement surpris par la qualité et la diversité de la foire », confie ainsi Frédéric de Goldschmidt, passé sur place avant de s’envoler pour la foire de Bologne. Il a craqué à l’étage pour un cahier dessiné d’Aïcha Snoussi à la galerie La La Lande.
L’enseigne parisienne présente aussi, entre autres, un important rouleau de la même artiste récemment exposé au musée de la Fondation Zinsou à Ouidah, au Bénin, ainsi que de grandes peintures réjouissantes de Slimen El Kamel, également Tunisien. Le collectionneur a eu d’autres coups de cœur sur le salon. Parmi eux figurent, au rez-de-chaussée, l’enseigne égyptienne Le Lab (Le Caire), dont c’est la première participation à Menart Fair. Centrée sur le design, celle-ci présente deux artistes. D’une part, les récentes pièces en albâtre d’Omar Chakil, qui revisite ce matériau d’ordinaire utilisé pour les souvenirs touristiques, et qu’a beaucoup aimées Frédéric de Goldschmidt. Comptez 1 600 euros pour une lampe. D’autre part, les œuvres sur papier de Bahaa Amer à l’esprit surréaliste (lire The Art Newspaper Edition française, janvier 2023). Plusieurs se sont vendues à l’ouverture à des Français et à des Libanais. Autre coup de cœur du collectionneur, celui niché cette fois au premier étage, tout au fond de la « salle de bains » carrelée de turquoise. L’espace plutôt incongru a été investi par la toute jeune galerie Hunna, basée à Abu Dhabi mais pour l’heure sans lieu physique. La jeune Omanaise Eman Ali a travaillé avec l’aide de l’intelligence artificielle à partir de photos anciennes pour évoquer les interdits qui frappaient les femmes dans son pays dans les années 1960… notamment l’interdiction de porter des lunettes de soleil ! La galerie a par ailleurs vendu des dessins de Zayn Qahtani sur le thème des sirènes « auxquelles l’artiste redonne une place positive et pas seulement ambivalente », précise la galeriste, Océane Sailly, et des céramiques d’Alymamah Rashed à un collectionneur koweïtien, à partir de 1 100 euros l’édition de 5.
Nombre d’artistes réussissent par ailleurs à apporter une touche poétique à des sujets douloureux. Toujours à l’étage, Yazan Abu Salameh représente le mur de séparation entre Israël et Palestine en collant des éléments de carton ondulé sur ses peintures urbaines (galerie Zawyeh, Ramallah). Occupant toute la coursive de l’atrium, Bilal Bahir, Irakien établi en Belgique, déploie des cartes anciennes du plat pays qu’il a parsemées de personnages et de scènes souvent inspirées des contes orientaux, associant pays d’adoption et héritage culturel méditerranéen (Gery Art Gallery, Namur). Son travail a été très remarqué.
Tout comme lui, nombre d’artistes de Menart Fair ont de surcroît un lien particulier avec la Fondation Boghossian, où ils ont déjà été exposés par le passé. À l’instar des artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, montrés par la galerie In Situ - fabienne leclerc (Paris), qui présente une grande tapisserie inspirée de photos de fouilles archéologiques et dont deux autres exemplaires se trouvent à la Sharjah Art Foundation et l’autre à la Tate Modern à Londres, œuvre majeure à 40 000 euros. Juste à côté, un paravent par les mêmes artistes, consacré au thème peu évident de la guerre Iran-Irak, attend preneur pour 50 000 euros. Pour une collection pointue !
D’autres encore cultivent une sourde nostalgie, tels l’égyptien Youssef Nabil qui aura droit à un solo show au Lacma à Los Angeles en 2025 (galerie Nathalie Obadia) ou encore Ghasem Hajizadeh, figure historique du pop iranien qui a peint une curieuse ébauche de ménage à trois dans un cabaret entre deux hommes et une femme, en 1979, année de la révolution islamique. À 55 000 euros, cette peinture fait partie, selon la galerie Simine (Paris), des œuvres les plus recherchées de l’artiste, toujours actif, car devenues rares. Reste pour les exposants à concrétiser, d’ici dimanche, les nombreux contacts engrangés à l’ouverture.
Menart Fair Brussels, jusqu’au 5 février, Fondation Boghossian – Villa Empain, avenue Franklin Roosevelt 67, 1050 Bruxelles.