Considérée comme une valeur sûre, louée par ses exposants comme par les visiteurs, la Brafa n’a jusqu’ici pas fait l’objet d’affaires retentissantes contrairement à d’autres événements internationaux du marché de l’art. Mais la première foire belge d’art et d’antiquités, qui se tient jusqu’au dimanche 5 février à Brussels Expo, pâtit cette année du retrait de plusieurs marchands importants, tous dans le domaine de l’archéologie. À l’exception de quelques rares pièces présentées sur des stands généralistes, telles les galeries Vervoordt (Wijnegem, Belgique) ou Desmet (Bruxelles), celle-ci est la grande absente de ce cru 2023 qui marque le retour de l’événement dans son créneau de janvier.
Cet automne, cinq marchands internationaux, les galeries David Aaron (Londres), Cybèle (Paris), Eberwein (Paris), Kevorkian (Paris) et Günter Puhze (Fribourg-en-Brisgau, Allemagne), ont annoncé qu’ils ne participeraient pas à cette édition. Il s’agit d’un gros manque pour la diversité de la Brafa, dont c’est l’un des fers de lance. Un sixième exposant, Finch & Co (Londres), a maintenu sa présence, mais renoncé à présenter sur son stand des pièces relevant de l’Antiquité. Leur grief ? Les méthodes employées par les équipes de la Direction générale de l’Inspection économique belge lors de l’édition 2020, mais aussi en 2022. « Les inspecteurs de ce département ont pénétré dans le salon avant et pendant son ouverture aux fins de prendre des photographies des œuvres exposées, photographies qu’ils ont ensuite transmises aux pays présumés d’origine des œuvres dans le but de susciter une revendication. Parallèlement, ils se sont fait remettre les dossiers de vetting, qui ont fondé diverses saisies d’objets considérés comme non authentiques. Pourtant, les rapports de vetting, de par leur nature contractuelle et confidentielle liant exclusivement une foire et ses exposants, n’ont pas vocation à être transmis à des autorités pour servir de base à des poursuites », écrivent-ils au président de la Brafa, Harold t’Kint, dans un courrier daté du 3 octobre 2022, que nous avons pu consulter. Ils estiment aussi avoir été jetés en pâture aux médias, et leur métier vilipendé dans la presse…
« Le problème, ce ne sont pas les contrôles, c’est la façon dont ils sont réalisés, confie Antonia Eberwein, dont la galerie spécialiste notamment de l’Égypte ancienne est basée en Allemagne et à Paris. Tout était au préalable présumé problématique sur les stands par les enquêteurs. Or, tout ne peut être écrit sur les cartels. Ce n’est pas parce qu’on ne met pas le nom du collectionneur qui possède une pièce qu’on veut le cacher, mais parce qu’il y a un devoir de discrétion. Nous devons avoir l’accord spécifique du propriétaire pour pouvoir mentionner son nom ».
La galerie Kevorkian fait partie de celles confrontées aux méthodes musclées des enquêteurs. Lors de l’édition de 2022, exceptionnellement organisée en juin, ces derniers ont certes opéré leur « descente » avant l’ouverture du salon, contrairement à 2020. Mais ils ont « tout photographié de façon plus ou moins aléatoire, et envoyé les images à l’ambassade d’Iran, qui devait désigner les pièces qu’elle réclamait. Du jamais vu », confie Corinne Kevorkian. Selon cette dernière, l’Iran aurait retenu « une pièce d’époque islamique, à décor moulé, sans aucune valeur pour le pays, parce que sa provenance était plus récente que les autres objets que je présentais sur le stand. Or, la pièce en question avait été publiée au catalogue d’une vente d’art islamique de Londres, et un avis d’expertise dit même qu’on n’est pas certain qu’elle vienne d’Iran ! ». L’affaire a été jugée en septembre, « classée sans suite » et la pièce rendue. Mais certains marchands attendent encore le retour d’objets saisis.
« La Brafa m’a vraiment soutenue dans ce dossier, mais il faudrait sans doute faire du lobbying plus intense auprès des autorités pour que ces mesures soient mieux encadrées », juge-t-elle aujourd’hui. Et d’ajouter : « on ne peut pas, en tant que marchands, jouer à la roulette russe à chaque édition. Les contrôles effectués à la Tefaf Maastricht se déroulent davantage dans un respect mutuel ».
« L’archéologie est un domaine très complexe, qui fait l’objet d’une surveillance accrue depuis la mise en place de la nouvelle loi européenne de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme [la directive AML, ndlr], cadre dans lequel s’inscrivent ces investigations à la Brafa, explique Harold t’Kint de Roodenbeke, son président. En raison de l’ancienneté des pièces, il est souvent plus difficile de retracer les provenances complètes que pour de l’art moderne ! »
S’il déplore « des cas malheureux, en partie résolus », pour lui, la Brafa, qui a pris un avocat pour s’occuper des exposants, et assister aux contrôles, se doit d’être irréprochable et d’offrir aux visiteurs « des objets les plus sûrs possibles ». « Nous sommes en négociation avec les autorités pour disposer de procédures plus claires, pour le bien de tous », assure-t-il. Avant de nuancer : « Il y a eu des dossiers l’année dernière pour lesquels les revendications étaient légitimes, assorties de commissions rogatoires, en particulier pour une pièce volée qui avait été achetée aux enchères à l’étranger. Le cas a été résolu. L’archéologie nécessite d’être encore plus pointilleux que dans d’autres domaines. Pour le bien du marché et des consommateurs ». Si les méthodes des limiers belges restent sujettes aux critiques, la spécialité demeure plus que jamais sensible, comme on l’a vu avec les nombreuses affaires en cours.
Ainsi, la galerie Phoenix Ancient Art, régulièrement citée dans les enquêtes en cours sur d’importants trafics d’antiquités, et dont l'un des directeurs vient ce mois de janvier d'être condamné en Suisse, a longtemps continué à exposer à la Brafa, avant que celle-ci décide à ne plus l’accepter. Un dossier qui a fait du tort à la spécialité.