À la croisée de la science, de l’art optique et de la culture underground, le moiré connaît, dans les années 1960, une vogue considérable, particulièrement dans la sphère anglo-saxonne. Il fait alors l’objet de recherches scientifiques et artistiques en même temps qu’il est popularisé au point de devenir un signe culturel. Selon Arnauld Pierre, une figure aujourd’hui oubliée se trouvait au cœur de cette vogue : Gerald Oster (1918-1993).
Gerald Oster devient le principal théoricien du moiré, son plus grand défenseur. Débute alors pour lui une véritable carrière artistique.
Docteur en biophysique, spécialiste de l’optique moléculaire, Gerald Oster s’intéressait notamment aux phénomènes de dispersion lumineuse et de fluorescence. En 1963, il publia un article intitulé « Moiré Patterns » dans la revue Scientific American. Cet article, dont on sait à présent qu’il a été lu par des artistes tels que Alberto Biasi, Yvaral ou encore Bridget Riley – tous engagés dans une recherche optique –, marque le début d’un projetaux vastes ramifications. « Il s’agit, pour Oster, écrit Arnauld Pierre, de mettre au point, grâce au moiré, une méthode de visualisation
des phénomènes physiques et des problèmes mathématiques qu’ils soulèvent, dans le but de leur trouver une résolution plus empirique et intuitive. » Gerald Oster, âgé de 45 ans, devient le principal théoricien du moiré, son plus grand défenseur. Débute alors pour lui une véritable carrière artistique : ses premiers reliefs à moirés « araignée » sont exposés à la Howard Wise Gallery, à Cleveland (Ohio), en 1965.
DE LA SCIENCE À LA CONTRE-CULTURE
Dans Magic Moirés, Arnauld Pierre esquisse une généalogie du moiré dans l’histoire de l’art moderne, de Man Ray à Marcel Duchamp, de Naum Gabo à Salvador Dalí. Il analyse également les nombreux échanges entre Gerald Oster, qu’il désigne par le double substantif d’« artiste-scientifique », et certains acteurs de l’op art, plasticiens donc, mais aussi galeristes et conservateurs, dont William Seitz, commissaire en 1965 d’une manifestation majeure dans l’histoire du courant, « The Responsive Eye », au Museum of Modern Art (MoMA), à New York.
Il montre enfin qu’avec les expériences sur la vision menées au milieu des années 1960 par un Oster sous LSD, l’intérêt suscité par le moiré prend un tour nouveau pour gagner la culture pop : « C’est en effet dans ce contexte psychédélique que l’art du moiré infléchit sa trajectoire et continue de rayonner comme marqueur privilégié d’une complexe sémiologie visuelle de l’hallucination. » Le motif envahit les affiches de rock et les films de série B d’une jeune génération sous acide. Et Arnauld Pierre de conclure : «[...] les moirés constituent l’une des familles de formes les plus extravagantes, au service d’un projet hypervisuel poussé
dans tous les déchaînements de la pulsion de voir et jusque dans l’exploration des états de conscience les moins ordinaires. »