Bouchra Khalili : The Magic Lantern
Le nouveau film de Bouchra Khalili, nommée au Prix Marcel-Duchamp 2023, imagine une généalogie qui irait de la lanterne magique par Athanase Kircher à celle de la PortaPack, première caméra vidéo portable, en y mêlant les fantasmagories de Robertson au lendemain de la Révolution. Derrière la PortaPack apparaît la figure de Carole Roussopoulos, féministe et vidéaste de la première heure qui, inspirée par Jean Genet, filma les révoltés de la terre, à commencer par les Palestiniens et les Black Panthers. Au centre du film, l’histoire d’une vidéo tournée dans les camps de réfugiés palestiniens à la suite des massacres ordonnés par Hussein de Jordanie en septembre 1970, et dont il ne subsiste qu’une brève séquence. La narratrice qui regarde la caméra, conduit le film avec une conviction et un magnétisme certains, s’exprime en langue arabe avec quelques citations en français ou en anglais venues du passé et dont elle serait la ventriloque. Est-ce parce que Roussopoulos se déclarait écrivain public que l’artiste et cinéaste Khalili ne fait pas entrer le cinéma et l’art vidéo dans son récit (juste une photo de Godard, et un programme de Kitchen à New York) ? C’est en tout cas par le biais de The Weaver, un tissage de bandes magnétiques reproduisant le motif de la PortaPack et celui du diamant (« qui, au Maroc, est un symbole féminin utilisé pour raconter des histoires par et sur les femmes ») qu’elle choisit de croiser la route de l’insoumuse inspiratrice, en même temps qu’elle cartographie ses parcours dans une série de sérigraphies.
Du 7 janvier au 18 février 2023, Galerie mor charpentier, 6, rue de Bretagne 75003 Paris
Kourtney Roy : The Other End of the Rainbow
La Highway 16 est une route de 720 kilomètres qui traverse le nord de la Colombie britannique, au Canada. Depuis une quarantaine d’années, des individus, femmes dans leur très grande majorité, y sont assassinés ou disparaissent, et c’est pourquoi on l’a nommée la Route des larmes. La police est jugée négligente, voire indifférente, et le fait que la plupart des victimes appartiennent aux Premières nations du Canada n’y est pas étranger. Délaissant un temps son travail photographique d’imagination et son jeu avec les stéréotypes publicitaires, Kourtney Roy a choisi de parcourir cette route et d’y travailler, sans projet artistique, sans protocole, avec une forme d’humilité devant les paysages, les lieux. Des personnes sont entrées avec elle en conversation, qui, souvent, se sont avérées être proches de victimes. De cette expérience est né un livre réunissant photographies et témoignages. L’exposition est faite de photos de paysages, d’habitats, d’intérieurs et de quelques rares portraits, posés ou instantanés. Comme l’explique Kourtney Roy, c’est l’idée du genius loci qui l’a retenue au cours de ces prises vues. Ni enquête, ni hommage, mais une manière de porter attention à une scène de crime bien trop vaste, et à la façon dont quelques-uns qui s’y trouvent peuvent être affectés par ce fait divers sans fin.
Du 7 janvier au 24 février 2023 (interruption du 15 au 25 janvier), Galerie Les Filles du Calvaire, 17, rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris
Genieve Figgis : The Pursuit of Happiness
Connue et reconnue pour sa manière de peindre à l’acrylique, frais sur frais de manière à provoquer coulures et débordements, son goût pour le grotesque et le macabre, Genieve Figgis revient avec une série d’œuvres inspirées par la famille royale anglaise (la vraie, mais aussi celle de The Crown), ainsi qu’une autre nourrie par la figure de Marie-Antoinette (l’authentique comme sa récente incarnation cinématographique) et la peinture française du XVIIIe siècle. Versant Windsor, c’est une caricature grinçante, un petit traité de décomposition orchestré à partir des noces du prince William, tandis que versant Marie-Antoinette, c’est l’enthousiasme et l’exaltation qui dominent, et avec elles une autre idée du bonheur. Plutôt qu’à imaginer un bien improbable dialogue avec les maîtres anciens, il s’agit plutôt d’une forme de « cover », ou reprise, au sens musical. Les cover de Genieve Figgis sont bien entendu d’un genre ravageur, mais la façon dont la reine de France et son monde sont ici rassemblés à la manière d’un cabinet de peintures est excessive en tous points. Nous sommes là dans une autre dimension, celle d’une installation en parfait accord avec le bâtiment qui l’accueille.
Du 7 janvier au 11 février 2023, Galerie Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris
Rob Wynne : Radiant Darkness
C’est une célèbre figure d’expression de Messerchmidt imprimée en motif sur un costume blanc accroché au mur qui nous accueille en même temps qu’une photo de Maria Callas sur une scène d’opéra dans un cadre orné de pâquerettes. Le ton est donné pour cette rétrospective très resserrée : mélange des genres, du surréalisme de Joseph Cornell ou de Man Ray au camp et à la culture populaire. La figure de Franz Xaver Messerchmidt se retrouve plus loin sur une pyramide de cartons d’emballage où son cri rencontre celui de Janet Leigh sous la douche de Psychose. À côté de cette pièce, une suspension de coussinets blancs surpiqués de noir, où sont imprimés des cœurs de planches anatomiques, et tout un tas de choses sous forme de collages de cartes de géographie, de rayogrammes, de marionnettes et de figurines photographiées dans des mises en scène naïves. En mariant le style cabinet de curiosités, le style Louis XV, et le genre boutique, Rob Wynne se situe résolument dans une histoire des avant-gardes minoritaires, voire secrètes, qui ne craint ni la sentimentalité ni la dérision.
Du 7 janvier au 4 mars 2023, Galerie Mitterrand, 79, rue du Temple, 75003 Paris