Très attendue, Art SG a ouvert ses portes hier, 11 janvier, après maints reports, au Convention Center du Marina Bay Sands, l’emblématique skyscrapper dominant Singapour de son spectaculaire rooftop en forme de bateau. Avec 160 exposants venus de 35 pays, c’est la foire la plus importante jamais organisée en Asie du Sud. Aux manettes, le cofondateur, Magnus Renfrew, ancien directeur d’Art Hong Kong puis d’Art Basel Hong Kong à ses débuts, et Shuyin Yang, la directrice de la nouvelle foire, ont construit Art SG autour de quatre secteurs, dont Focus – sur un projet ou une thématique –, Futures - – dédié aux enseignes de moins de six ans –, et Reframe – consacré aux œuvres numériques, et aux nouvelles technologies. Avec ses deux niveaux et son impressionnant noyau de galeries occidentales de premier plan, de Thaddaeus Ropac ou David Zwirner à Perrotin, Continua, White Cube, Almine Rech, Victoria Miro, Max Hetzler, Karsten Greve, Pace, De Sarthe, Waddington Custot, Templon, Xavier Hufkens ou encore Gagosian, la foire a des airs d’Art Basel Hong Kong. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si MCH, la maison mère d’Art Basel, est revenue au capital de l’événement, qui bénéficie du même sponsor, la banque UBS. Singapour, avatar de la Suisse avec son port franc, sa stabilité financière, sa sécurité optimale et l’anglais comme langue commune en fait un cadre idéal pour une foire… Toutefois, l’objectif des organisateurs est clairement tourné vers la scène sud-asiatique et d’Asie-Pacifique. L’événement, concomitant avec la Singapore Art Week et avec la Singapore Biennale, est bien de proposer une saveur régionale, soutenir les artistes locaux et non d’être une énième déclinaison des foires internationales. D’où une forte présence des galeries asiatiques, de l’Inde à la Corée du Sud, de la Thaïlande au Japon. Des enseignes précisément mises en avant au rez-de-chaussée du bâtiment, proche de l’entrée des visiteurs, et non pas au sous-sol où se trouvent la plupart des grosses enseignes étrangères.
Si les exposants espéraient attirer les Chinois de Hongkong ou de la Chine continentale, qui étaient quelques-uns à parcourir les allées au vernissage, la cible principale reste pour l’heure le vivier de collectionneurs régionaux, en plein essor. « Notre but est de toucher davantage de collectionneurs déjà actifs mais aussi les nouvelles générations qui en ce moment sont en train d’arriver à la tête de nouvelles entreprises ou de prendre les rênes des entreprises familiales. Des personnes susceptibles d’acheter des œuvres d’art », confie Magnus Renfrew. Tout comme Hongkong, Singapour seul ne suffit pas pour soutenir un marché. Par avion, des visiteurs sont venus de partout au vernissage, de l’Inde à l’Australie en passant par Séoul ou les pays « voisins » aux fortunes en plein développement et aux fortes disparités de richesse, la Thaïlande, l’Indonésie, le Vietnam, la Malaisie… Le « coup de jeune » sautait aux yeux par rapport à beaucoup de foires occidentales. « Jusqu’ici, à Singapour, les foires n’ont fait qu’aller et venir, observe la curatrice Avantika Malhotra, basée de longue date à Singapour. Leur public était souvent surtout constitué d’expatriés. Ici, j’ai vu beaucoup de jeunes gens de Singapour et d’Asie venir découvrir la foire et impatients de voir les œuvres. C’est très encourageant ». Un public en partie à éduquer artistiquement…
« Je n’ai pas d’artistes asiatiques à défendre. Venir ici est un exercice de fraîcheur, une façon de voir ce que notre programmation peut susciter comme intérêt, confie le Parisien Jocelyn Wolff, qui présente à Art SG des œuvres entre 3 500 dollars et 300 000 dollars. « Le public est très international, nous avons vu des gens que l’on voyait à Hongkong, des Coréens, des Chinois de Taïwan », constate le galeriste, qui a participé auparavant à Art Basel Hong Kong ou à West Bund Shanghai. Et d’ajouter : « après toutes ces années de Covid où nous avons participé à moins de foires en Asie, c’est important de retrouver notre clientèle de cette région du monde et le contact avec elle, qui s’est un peu perdu ces dernières années. L’Asie ne se cantonne pas à la Chine continentale ». La galerie a réalisé plusieurs ventes notamment d’œuvres de Santiago de Paoli et « le reste est en discussion », précise Jocelyn Wolff. Certaines galeries avaient réaccroché, le 12 janvier, d’autres se réjouissaient des contacts établis.
« Nous avons vu beaucoup de gens rencontrés déjà à Hongkong. Il y a eu énormément de buzz à propos d’Art SG », confie Jacob Twyford, senior director de la galerie Waddington Custot. L’enseigne londonienne propose notamment un travail sur pulpe de papier de David Hockney provenant d’une collection du Sud de la France, pour 1,8 million de dollars plus les taxes.
De son côté, le collectionneur et expert Jean-Marc Decrop a remarqué à la foire le travail de l’Indonésienne Ida Lawrence chez Isa Art and design (Djakarta), ou encore le stand de Scai the Bathhouse (Tokyo) ou encore les photos pleines d’humour de Wasmo X. Wasmo chez Latitude 28 (New Delhi). Cette même galerie présente une installation de figurines recouverte de papier mâché par Sudipta Das, née en Inde en 1985 : des personnages qui « évoquent l’exode face aux inondations et aux changements climatiques », précise la directrice, Bhavna Kakar. Toutefois, cette ribambelle de migrants garde l’espoir, les yeux tournés vers le ciel et l’avenir. Un ensemble affiché à 13 800 dollars. « Je suis une inconditionnelle de ce que fait Magnus Renfrew que je connais depuis Art HK, et je l’aurais suivi n’importe où », témoigne la galeriste. De toute évidence, le solide pedigree et les relations de ce dernier tissées de longue date avec les galeries ont aidé à bâtir la foire. De son côté, la galerie Bank (Shanghai) présente une sculpture métallique et poétique de Tawatchai Puntusawasdi où le spectateur, par un oculus, peut observer l’ombre portée de la terre (au prix de 110 000 dollars). Le travail sur papier qui accompagne ce thème est disponible pour 22 000 dollars.
Reste à savoir si Art SG supplantera ou pas Art Basel Hong Kong, ou s’il s’agit davantage d’une réorganisation du marché asiatique… Indéniablement, la foire hongkongaise a perdu son éclat tant pour les galeristes que pour les collectionneurs, un affaiblissement qui bénéficie à Singapour. Mais elle n’a pas dit son dernier mot, et reste encore une importante porte d’entrée vers le marché de la Chine continentale. Art SG a encore du chemin à faire pour s’imposer, et notamment offrir un plateau plus homogène en qualité, beaucoup de galeries asiatiques misant encore souvent sur des œuvres très kitsch correspondant à un certain goût asiatique ou de banals ersatz. Un essai prometteur à confirmer.