Dès le préambule, Alice Dusapin, directrice de l’ouvrage, annonce son ambition : dresser un état des lieux de l’œuvre plastique d’Anne-James Chaton (né en 1970) sans dénaturer sa pratique, intimement liée à son
travail littéraire et sonore. Pour y parvenir, elle délaisse les codes de la monographie et fait le choix d’une présentation éclatée qui procède tantôt par assonance, tantôt par dissonance, non par chronologie ni par thèmes. Par ailleurs, cinq textes – des essais signés Frédéric Boyer, Jo Melvin et Emmanuel Tibloux, un entretien avec Carsten Nicolai et une notice par l’artiste lui-même – apportent un éclairage riche et pluriel. Le graphisme, très soigné, résonne avec l’œuvre : papier gaufré de la couverture emprunté à P.O.L, l’éditeur d’Anne-James Chaton, pièces reproduites sans encadrement et qui, parfois, recouvrent la pagination, etc.
METTRE LE QUOTIDIEN EN TEXTE
Depuis le début des années 2000, Anne-James Chaton développe un travail pluridisciplinaire (poésie, performance, fiction, création plastique) à partir de ce qu’il appelle le « pré-écrit » : la littérature « pauvre » puisée dans la vie contemporaine (factures, coupures de presse, formulaires administratifs, etc.), mais aussi les sources archivistiques ou documentaires (pour son livre Vie et mort de l’homme qui tua John F. Kennedy paru en 2020) et les textes du patrimoine culturel (La Divine Comédie de Dante, imprimé sur un rouleau de caisse enregistreuse pour la série Rouleaux en 2021). S’emparer de ces « pré-écrits » est un moyen de réfléchir à « comment la langue configure la réalité » et de « mettre en avant la textualité du monde » (Emmanuel Tibloux).
Dans la plupart des dix-huit séries recensées dans l’ouvrage, Anne-James Chaton fait imploser les formes littéraires ou artistiques, à l’exemple du portrait ou du journal intime. Au sein de ces manifestations biographiques, l’usage de documents imprimés (ticket de caisse, relevé de compte, note de restaurant, etc.), à la fois personnels et très communs, laisse entrevoir l’idée que « dans chaque fragment réside déjà la possibilité de l’univers entier » (Anne-James Chaton). Les effets de la société de consommation, dont témoignent ces documents, sur le langage et, par là même, sur nos vies, dessinent l’autre grand motif de l’artiste.
La série Réclames (2020) propose un détournement efficace et « pataphysique » (Jo Melvin) des slogans publicitaires de grandes marques, transcrits à la première personne du singulier. L’un d’eux, emprunté à IBM, donne son titre, délirant et égotique, au livre : « I have the solution for the planet ». Il fait écho à un essai publié par Anne-James Chaton en 2005, L’Effacé. Capitalisme et effacement, dans lequel il analyse « l’effacement de toute la part du réel qui ne se laisse pas réduire à la langue marchande » (Emmanuel Tibloux).
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Anne-James Chaton. I have the solution for the planet, textes en français et en anglais de Frédéric Boyer, Emmanuel Tibloux, Jo Melvin et Carsten Nicolai, Paris, Daisy, 2022, 244 pages, 30 euros.