C’est une initiative suffisamment originale pour être signalée : un livre de photos... sans photos ! Ou, plus exactement, qui raconte les petites histoires derrière des images devenues iconiques, témoins de la grande histoire et depuis ancrées dans notre imaginaire collectif. Des photographies subtilement cachées sous les gardes avant et arrière de cet ouvrage de format moyen, qu’il faut déplier pour les découvrir. Si l’on se prend au jeu, tout le plaisir consiste à se plonger dans le texte avant de regarder, dans un second temps seulement, l’image correspondante. Publié à l’occasion du 75e anniversaire d’une agence de presse mythique, qui compta parmi ses fondateurs en 1947 Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, Magnum Photos 75 dresse, au fil des pages, une fresque dans laquelle chaque anecdote ou récit singulier, puisés dans les archives et rédigés par Philippe Séclier, lèvent le voile sur les coulisses de ces photographies documentaires passées à la postérité.
Suivant un déroulé chronologique, on y apprend que la toute première réunion de Magnum Photos s’est tenue le 17 avril 1947 dans le restaurant du Museum of Modern Art (MoMA), à New York, à l’initiative de Robert Capa, dont le goût pour le champagne n’est pas étranger au nom choisi pour porter sur les fonts baptismaux la nouvelle agence. La nuit du 20 au 21 août 1968, un « photographe tchèque inconnu » saisit l’invasion des tanks du pacte de Varsovie dans Prague avant de parvenir à faire sortir secrètement les images de son pays. Le reportage sera diffusé l’année suivante par Magnum Photos et se verra attribuer le prix Robert Capa Gold Medal. Josef Koudelka ne les assumera publiquement que seize ans plus tard, une fois la menace des représailles envers sa famille passée. Plus récemment, le travail d’Antoine d’Agata sur la pandémie en 2020 ou la couverture de l’invasion russe de l’Ukraine rappellent l’impérieuse nécessité de donner à voir, le meilleur comme le pire. Et, plus que jamais, la grandeur qu’il y a à le faire.
Philippe Séclier, Magnum Photos 75, Paris, Atelier EXB, 2022, 104 pages, 32 euros.