L’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont le projet de restauration a parfois été dénoncé comme relevant davantage de Disneyland que d’un lieu de culte, devrait réserver de nouvelles surprises lors de sa réouverture en 2024. Lors d’une manifestation publique organisée à l’occasion de la 39e édition des Journées européennes du patrimoine, Jean-Louis Georgelin, le général d’armée président de l’établissement public en charge de la restauration de Notre-Dame, a déclaré qu’après des siècles d’absence d’entretien, l’intérieur nouvellement nettoyé serait « un choc ».
La phase actuelle de nettoyage consiste en l’application d’une pâte en latex sur les murs intérieurs. Après quelques jours, le latex peut être décollé, emportant avec lui la poussière, la suie et la saleté accumulées. Lors d’un entretien accordé au quotidien britannique The Times en septembre, Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques à la tête du chantier de restauration de la cathédrale, a déclaré qu’une fois les travaux achevés, la cathédrale serait « lumineuse ».
Le latex est utilisé pour nettoyer des maçonneries historiques depuis les années 1990 et a été utilisé pour la première fois au Royaume-Uni à la cathédrale Saint-Paul à Londres, au cours d’une campagne de restauration qui a duré quinze ans, et achevée en 2011. Dans ce dernier cas, le latex a servi de support pour des agents actifs dans un produit appelé Arte Mundit, une pâte contenant de l’EDTA et développée par la société belge FTB Restoration, aujourd’hui disparue. Cette méthode de nettoyage est considérée comme « la plus efficace » pour les murs intérieurs historiques. Afin d’accélérer son application, Arte Mundit a été pulvérisé à Londres sur la maçonnerie et puis a été laissé sécher. Mais en janvier 2003, The Times a rapporté que des inspecteurs de santé et sécurité avaient été appelés à la cathédrale pour des cas d’éruptions cutanées et de problèmes respiratoires parmi le personnel. À l’époque, la teneur en latex était considérée comme la cause la plus probable des réactions indésirables, bien que le faible niveau d’un autre ingrédient, l’ammoniac, puisse également provoquer une « irritation des yeux, du nez et de la gorge », selon Public Health England. The Times a révélé qu’Arte Mundit contenait « trois autres substances dangereuses, qui peuvent provoquer des éruptions cutanées, de la toux et des maux de gorge ». Les pulvérisations à Saint-Paul ont ensuite été limitées à la nuit afin de minimiser tout risque supplémentaire.
« Le latex est appliqué sur tous les murs, y compris les éléments décoratifs », a fait savoir de son côté Rebâtir Notre-Dame de Paris, l’organisme public créé en 2019 pour superviser la restauration de la cathédrale. Son porte-parole a précisé que si les précédentes formules mettant en œuvre du latex « contenaient des additifs ou des stabilisants tels que l’ammoniac, qui ont pu poser des difficultés par le passé », la composition s’est améliorée ces dernières années pour mieux protéger à la fois les bâtiments et la santé du personnel. Rebâtir Notre-Dame de Paris a également confirmé que l’EDTA n’était pas utilisé dans la cathédrale.
L’usage du latex, de l’ammoniac et de l’EDTA était déjà controversé en 2003, lorsqu’ils ont été choisis pour la cathédrale Saint-Paul. Cette année-là, le restaurateur John Larson avait exprimé son « indignation », soulignant à l’époque que l’application de substance de moulage sur la pierre était interdite au Victoria & Albert Museum et dans d’autres grandes institutions, de peur de provoquer des dommages. Lui-même et Richard Wolbers, qui travaillaient alors dans le département de la restauration des œuvres d’art à l’université du Delaware, ont fait part de leurs inquiétudes dans Conservation News (la publication de l’Institut britannique pour la restauration des œuvres historiques et artistiques, devenu depuis l’Institut de restauration), concernant l’utilisation de latex, d’ammoniac et d’EDTA dans la cathédrale. Ce dernier a déjà été utilisé de manière controversée pour le nettoyage de la chapelle Sixtine.
Michael Daley, le directeur d’ArtWatch UK, qui a été à la tête des opposants au nettoyage de Saint-Paul, a dénoncé « cette inflation constante dans le domaine de la technologie, où la dernière méthode est présentée comme une avancée super-scientifique, mais seulement jusqu’à ce que la suivante arrive et qu’elle soit modifiée ou remplacée. »
L’attrait d’une pierre parfaitement propre est aussi puissant aujourd’hui qu’il l’était lors de la restauration de la cathédrale Saint-Paul il y a vingt ans. Après avoir assisté au nettoyage de Notre-Dame de Paris, Jean-Michel Guilment, chef de projet au sein de l’établissement public chargé de la restauration, a déclaré au Times : « La blancheur sous la saleté est assez spectaculaire. » « Les questions vraiment importantes dans la restauration ne sont pas, par essence, techniques, elles sont esthétiques, historiques et artistiques, commente Michael Daley. La question à Notre-Dame, comme à Saint-Paul, est de savoir s’il existe une justification suffisante pour souhaiter présenter un intérieur blanc artificiellement éclairci et anhistorique. »
Rebâtir Notre-Dame de Paris a rejeté les critiques, affirmant que le but recherché n’était pas d’obtenir un intérieur blanc : « À la suite de l’incendie, une campagne de nettoyage approfondie de tous les intérieurs a été nécessaire. Les murs intérieurs retrouveront leur couleur d’origine car les chapelles et les bas-côtés étaient très sales. Il ne s’agit bien sûr pas d’une couleur blanche : la pierre a une couleur blonde et les architectes sont très attentifs à obtenir une patine qui respecte les siècles. Lors de sa réouverture en 2024, les pèlerins et les visiteurs du monde entier trouveront la cathédrale plus belle que jamais. »