On allait voir ce qu’on allait voir : « Une décennie historique », « 700 œuvres », « une époque frénétique », etc., dixit le dossier de presse de l’exposition « Années 80, Mode, Design et Graphisme en France », concoctée par le musée des Arts décoratifs de Paris. Et puis patatras ! Les bonnes intentions sont retombées comme un soufflé. Mais où est donc passée cette légendaire « frénésie » chère à ladite décennie ? À parcourir la présentation, on a, en réalité, du mal à l’imaginer et à trouver un fil conducteur entre les diverses pièces, hormis, bien sûr, leur date de conception. Pis, le volet intitulé « La Nuit » qui aurait dû symboliser, façon cerise sur le dancefloor, l’acmé de ces années bénies des DJs, à travers deux lieux prisés par ces « créatifs-noctambules », le Palace et les Bains Douches, se recroqueville de manière tristounette, évoqué par une série de pochettes de disques ou d’affiches de concerts – signées Loulou Picasso – sagement alignés sous vitrines.
L’exposition « Années 80 » se veut un panorama, en France, de ces trois disciplines – mode, design, graphisme –, depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, en 1981, jusqu’à la chute du mur de Berlin, en 1989, rassemblant une ahurissante quantité d’œuvres en tous genres : affiches et pochettes de disques donc, mais aussi objets, meubles, vêtements, magazines, journaux, photographies, films… Le fait est que la présentation est fractionnée à l’excès et chaque section bien ordonnée dans son espace dévolu, salle ou podium, contrariant un possible dialogue entre les trois disciplines. Or, s’il est une caractéristique emblématique de ces « Eighties » hexagonales, c’est précisément leur transversalité, doublée d’un éclectisme à tout-va. Comme le résumait, non sans humour, la journaliste Sophie Tasma-Anargyros dans le catalogue de l’exposition « Design français 1960-1990, Trois décennies de créateurs » qui a eu lieu, en 1988, au Centre Pompidou, à Paris : « Une extraordinaire diversité stylistique éclôt, qui puise à toutes les références, inspirées, dans le désordre, de la Sécession viennoise, du Bauhaus, du classicisme, de l’exotisme, du japonisme, du futurisme italien, du constructivisme russe, néo-barbare, néo-romain, néo-électronique, destroy, californien, mystique, néo-40, néo-50, néo-60, etc. » Bref, une sorte de télescopage jouissif et fécond.
Cette idée d’un mélange des genres point néanmoins a minima au cœur de l’exposition. Dans la grande nef, en effet, la mode vient d’abord timidement – le double-pancho de Jean-Charles de Castelbajac pour K-Way sur le podium du VIA, la cellule « innovation » des fabricants de l’ameublement –, puis allègrement – le salon de couture Christian Lacroix décoré par Garouste & Bonetti – taquiner le mobilier. Pourquoi, dans ce cas, s’être arrêté en si bon chemin et ne pas avoir pleinement invité le graphisme ? Ce « Carambolage » – nom de code de l’exposition donné par ses quatre commissaires durant la phase d’élaboration – n’a pas lieu et le parcours pâtit de cet entre-deux. Au lieu d’un joyeux pêle-mêle, le graphisme – culturel, politique, social, publicitaire… – a été « exfiltré » dans un « tunnel » de salles, ce qui en devient parfois pesant. Plus loin, se succèdent, sans se confronter, une suite de galeries spécialisées en design ou d’individualités – Jean-Paul Gaultier, Philippe Starck, Martin Szekely, Sylvain Dubuisson… Les « associations » mode et design se donnent à voir peu ou prou telles des « planches de tendances » alliant couleurs et matières. Ainsi en est-il de cette robe noire asymétrique d’Anne-Marie Beretta mise en regard d’un paravent imaginé par Olivier Gagnère, dans lequel des silhouettes humaines sont taillées dans de l’ardoise. Le dispositif pourra séduire le public, même si les associations se révèlent un brin superficielles.
Certes, regardées individuellement, le visiteur aura plaisir à voir ou à revoir moult pépites : l’identité visuelle du musée d’Orsay de Bruno Monguzzi et celle du Parc de La Villette par le collectif Grapus, l’amusant documentaire Mode in France du cinéaste et photographe William Klein, le manteau rouge en plastique soudé d’Élisabeth de Senneville, un splendide ensemble de François Bauchet, voire ce petit bijou, quoique fort peu représentatif des années 1980, qu’est cette chaise de salle à manger en contreplaqué multiplis signée Marc Held. Seul manque à l’ensemble ce « vent de fête et de liberté » ou, à tout le moins, un petit souffle.
« Les années 80, mode, design et graphisme en France », jusqu’au 16 avril 2023, Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris, madparis.fr