À bientôt 78 ans, et après quatre décennies de carrière, Frédéric Castaing ferme boutique. Vendredi soir, 18 novembre, il a réuni une dernière fois les fidèles dans sa librairie verte spécialisée dans les autographes, située à quelques mètres de la place Saint-Germain-des-Prés, à Paris, et qu’il rend à son propriétaire. Sa collaboratrice, Céline Bertin, part quant à elle vers de nouvelles aventures en tant qu’experte chez Pingel Rare Books, avenue de Suffren.
« Victor Hugo disait : je ne veux pas qu’on me succède mais qu’on me continue », a déclaré vendredi Frédéric Castaing. Le grand combat de cet amoureux de littérature et d’histoire, mais aussi inconditionnel d’Orson Welles qu’il croisa un jour dans un train ? Celui de l’expertise et de son rôle cardinal dans le marché de l’art… Très engagé, il l’a défendu notamment en tant que président de la CNE, la Compagnie nationale des experts, de 2014 à 2021. Auparavant, président entre 2004 et 2010 du SLAM, le Syndicat de la librairie ancienne et moderne, il a entre autres actions d’éclat réussi à faire déménager le Salon du livre rare de la Mutualité malcommode pour le Grand Palais, lui donnant une autre dimension. L’une de ses satisfactions personnelles est d’avoir siégé pendant 17 ans à la commission des Trésors nationaux qui décide ou non de délivrer les certificats d’exportation, et « d’y avoir vu passer tant de chefs-d’œuvre », confie-t-il.
Plus récemment, son grand combat reste celui contre Aristophil, gigantesque pyramide de Ponzi appliquée au monde des manuscrits et des autographes, affaire sur laquelle il revient dans une brochure qui a été remise aux invités. Une croisade au nom de l’éthique qui lui valut de nombreux ennemis et des menaces très directes… C’était sans compter sur le cuir dur de Frédéric Castaing, qui a dû affronter la torture en 1985 dans les geôles polonaises de Jaruzelski, dont les sbires l’avaient pris par erreur pour un espion parce qu’il transportait une liste de noms de codes suspects – Victor Hugo, Flaubert ou Kafka annotés de montants en dollars –, ses derniers achats à New York…
L’un des rares à n’avoir pas cédé aux sirènes sonnantes et trébuchantes d’Aristophil, Frédéric Castaing retient aujourd’hui bien évidemment le drame financier pour les épargnants qui ont mis leurs économies dans des documents, certes rares ou remarquables, mais amplement surévalués. Le commissaire-priseur Claude Aguttes, qui gère la dispersion judiciaire du fonds Aristophil, a annoncé un total d’environ 100 millions d’euros au terme des ventes qui s’achèvent ces jours-ci, tandis que Frédéric Castaing mentionne une évaluation à 900 millions d’euros pour l’escroquerie. « Cela ne veut pas dire que les prix ont dégringolé. Mais cette spéculation a fait sortir sur le marché près de 130 000 documents qui sinon auraient mis un siècle à apparaître, explique-t-il. Surtout, Aristophil a transformé le regard sur un domaine de passionnés, celui des autographes et des manuscrits, devenus de simples actifs financiers. Face à ces investisseurs, l’expert peut se retrouver dans l’œil du cyclone, menacé de procès… » Et pourtant, ajoute-t-il, « qui mieux que l’expert peut défendre les intérêts des acheteurs, face à de grandes maisons de ventes qui se déchargent de plus en plus de leurs responsabilités ? »
Que deviendra le formidable fonds d’archives de la galerie, constitué de celui de la librairie Charavay, plus ancienne maison d’autographes fondée à Lyon en 1830 puis installée rue de Furstenberg à Paris… Une maison reprise en 1944 par Michel, le père de Frédéric Castaing, et que fréquentèrent des passionnés nommés Nadar, Rodin mais aussi Anatole France, Romain Rolland ou Stefan Zweig, qui y rédigèrent eux-mêmes, en amis, des fiches… Une autre époque.