Il s’agit d’une vente caritative pas comme les autres. Guy Boyer se sépare chez Aguttes de cent lots provenant de sa collection personnelle. Y figure un panthéon des grands noms de l’art moderne et contemporain, de Zao Wou-Ki à Fabienne Verdier, à des estimations souvent attractives. Une partie importante des œuvres, achetées directement aux artistes ou en galerie, n’a jamais été vue sur le marché. « J’ai essayé de ne pas mettre de jeunes artistes dans cette vente car cela peut être délicat de les proposer aux enchères trop tôt », nous confie Guy Boyer. Le directeur de la rédaction du magazine Connaissance des Arts consacrera le produit de la vente à l’extension du centre culturel qu’il vient d’ouvrir, sans aide publique, dans l’Hôtel Hubaud, un édifice du XVIIIe siècle situé dans le quartier de Belsunce, à Marseille. Une ville où on lui déconseillait d’aller quand il faisait ses études à Avignon !
Après avoir racheté le premier étage, d’une superficie d’environ 100 mètres carrés, il y a installé après travaux l’importante bibliothèque et documentation réunie au cours de sa carrière de directeur de différents magazines d’art. Les lieux sont placés sous l’égide de l’Association des Amis de l’Hôtel Hubaud. « La bibliothèque est ouverte aux membres de l’association, car il y a déjà beaucoup d’autres bibliothèques à Marseille, explique Guy Boyer. C’est un lieu de coworking en histoire de l’art pour les chercheurs, historiens et journalistes. Nous venons de lancer les adhésions cette semaine et avons déjà reçu plusieurs demandes. Le lieu se veut aussi, dans cette époque où le confinement a banalisé le télétravail, un endroit physique où travailler ensemble, se rencontrer et échanger des idées ». Pour encourager le projet, les collectionneurs et mécènes Florence et Daniel Guerlain ont reversé à la bibliothèque tous les catalogues des expositions du Centre Pompidou qu’ils avaient en double. La prochaine étape ? Racheter le rez-de-chaussée pour en faire un espace dédié à des tables rondes, des débats, des expositions… D’où cette vente destinée à financer l’acquisition. Dans ce quartier populaire de Marseille, où sont déjà implantées la bibliothèque de l’Alcazar ainsi que de petites galeries d’art contemporain, Guy Boyer aimerait que le nouveau lieu permette notamment aux jeunes publics de s’initier à l’histoire de l’art et aux arts plastiques, mais serve aussi de relais pour valoriser le patrimoine bâti des alentours.
Les œuvres proposées sont le fruit d’achats – il y a parfois plus de 20 ans – en particulier à Drouot, mais aussi directement auprès d’artistes ou relèvent de dons. La vente reflète le goût de Guy Boyer et ses coups de cœur. Le XIXe siècle y occupe une belle part, avec entre autres un buste de jeune Apollon en marbre, travail italien estimé 3 000 à 4 000 euros, ou une étude en bronze d’Aimé-Jules Dalou pour Le Passage du Rhin, évalué de 12 000 à 18 000 euros. De son intérêt particulier pour l’Exposition universelle de 1937 à Paris témoignent ici des œuvres sur papier de Charles Despiau ou Alfred Janniot. « Une rencontre importante dans ma vie fut celle du mari de Janine Janet, Jean-Claude Janet, qui m’a conduit à acheter des œuvres lors de la vente de leur atelier », précise Guy Boyer. Janine Janet, qui mériterait une exposition, fut notamment l’auteure des costumes pour le Testament d’Orphée, film de Jean Cocteau sorti en 1960. Trois études de costumes figurent dans la vente (est. 400 à 600 euros) ainsi qu’un superbe dessin à la gouache représentant le fameux salon-bibliothèque du château de Groussay, fief du marquis de Beistegui (même estimation). Outre de petites pépites abordables et curiosités signées Cecil Beaton, Georges Rohner, Victor Vasarely, André Lanskoy ou encore Bernard Buffet, la vacation propose de nombreuses éditions et estampes, de Max Bill à Pierre Alechinsky, en passant par Barthélémy Toguo ou Zao Wou-Ki. Ce dernier est aussi présent à travers un nu féminin à l’encre de Chine de 1949, estimé de 30 000 à 50 000 euros. Sans oublier des peintures de Geneviève Asse, Jean Degottex (une composition abstraite de 1960 évaluée de 8 000 à 12 000 euros), Philippe Cognée, Fabienne Verdier, avec Rêverie sur les hautes cimes (2008) évalué de 10 000 à 15 000 euros. Un beau geste pour Marseille.