Le risque des foires de photographie, royaume du multiple par excellence ? La saturation rapide de la rétine face à une rafale d’œuvres de qualité et d’intérêt divers. Cette année, Paris Photo s’efforce, en dépit des contraintes de taille du Grand Palais Éphémère, de proposer des accrochages plutôt lisibles et nombre de focus aux scénographies souvent très soignées. Face à l’entrée, Ceysson & Bénétière consacre son stand à Orlan, notamment à des tirages vintages sur son travail sur le corps et ses performances dans les années 1960, quand elle avait vingt ans. Un travail féministe destiné à faire reconnaître la place de la femme en tant qu’artiste à part entière et non en simple muse. Une décennie plus tard, la performeuse s’enveloppe, telle une madone, dans un drap tissé pour la nuit de noces pour mieux dénoncer le poids de la tradition judéo-chrétienne, un tirage d’époque unique proposé à 80 000 euros.
Les traces photographiques des performances sont d’ailleurs particulièrement à l’honneur sur cette 25e édition du salon, de Marina Abramović chez Wilde aux Japonais Masaki Nakayama et Keiji Uematsu, avec un ultime tirage de ce dernier restant à 40 000 euros chez Christophe Gaillard, qui s’est délesté de plusieurs œuvres de Smith ainsi que de Stéphane Couturier.
Autre dénonciation, celle d’Alfredo Jaar, à quelques pas d’Orlan. La galerie Goodman expose un ensemble de dix « light box » d’une série sur l’univers des mines au Brésil, présentée en 1985 au pavillon chilien de la Biennale de Venise. Cet ensemble muséal est proposé à 600 000 dollars, l’un des plus gros prix de cette édition. En phase avec l’actualité, Suzanne Tarasieve dédie son stand à Boris Mikhaïlov et à son travail prémonitoire sur les manifestations de Kiev entre pro-occidentaux et pro-russes. Dans le même registre ukrainien, la galerie Alexandra de Viveiros expose l’école de Kharkiv (ex-Kharkov) et ses images sépia colorisées.
Dans un tout autre genre, Christian Berst art brut consacre son stand au travail doucement dingue de Jorge Alberto Cadi, entre photos anciennes cousues et valise remplie d’images de Cuba, d’où il fut si difficile de partir… Entre le vernissage de JP Morgan mardi soir et celui de mercredi matin, de nombreuses pièces (entre 4 500 et 15 000 euros) ont trouvé preneur, vendues à des Français, des Belges, des Portugais… Antoine de Galbert a acheté trois pièces de cet artiste qui, pour une fois, avait échappé à son radar !
Même si, selon plusieurs visiteurs, cette édition de Paris Photo réserve assez peu de découvertes, nombre de stands méritent un arrêt. Nathalie Obadia expose entre autres trois belles photos d’Agnès Varda. Clémentine de la Féronnière, qui a cédé lors du vernissage JP Morgan un superbe portrait de dos d’Elisabeth II par Martin Parr, présente notamment les photos des sites archéologiques du Soudan prises par Juliette Agnel (à 6 000 euros). L’artiste n’a pas pu accéder aux sites de nuit pour des raisons de sécurité. Qu’à cela ne tienne, elle a retravaillé les ciels pour leur donner une atmosphère nocturne. Un tirage de cette série montrée au musée du Louvre au premier semestre dans l’exposition « Pharaons des Deux Terres » avait été acquise par le Centre national des arts plastiques (Cnap). La même enseigne propose un autoportrait de James Barnor exposé cet été aux Rencontres d’Arles dans la tour LUMA, un tirage moderne validé par l’artiste.
D’autres artistes n’hésitent pas à mettre la tête sous l’eau, tel Gregor Törzs (galerie Persiehl & Heine) qui confère un aspect ancien à ses images, mais aussi à d’autres éléments végétaux vus au microscope. Surtout, Nicolas Floc’h occupe tout le stand de la galerie Maubert avec un ensemble d’œuvres consacrées aux océans et aux transformations sous-marines dues au changement climatique (de 2 800 à 8 800 euros selon le format et le tirage).
Une fois n’est pas coutume, nombre de transactions ont eu lieu dès le vernissage d’ordinaire surtout mondain du mardi soir et se sont poursuivies mercredi, la fréquentation moins dense que sur Paris + le jour de l’inauguration permettant de mieux voir les œuvres. Mais quid de l’annonce du lancement de Photofairs New York en septembre 2023, dont l'équipe comprend les cofondateurs de Photo London ? « Paris Photo reste la référence, avec des œuvres plus importantes et moins décoratives, et attire de nombreux Américains », réplique un spécialiste.
Paris Photo, 10-13 novembre 2022, Grand Palais Éphémère, Champ-de-Mars, 75007 Paris.