La Art Week Tokyo (AWT), organisée en partenariat avec Art Basel, tient sa deuxième édition du 3 au 6 novembre, réunissant plus de 50 musées et galeries répartis dans toute la zone métropolitaine de la capitale japonaise, de Roppongi à Tennozu Isle. Pour son lancement l’année dernière dans un contexte de restrictions des déplacements liées au Covid-19, la AWT avait accueilli plus de 20 000 visiteurs. Son retour intervient alors que le Japon ouvre ses frontières aux touristes vaccinés dans le cadre du programme d’exemption de visa.
Depuis l’année dernière, le Japon a mené des actions pour retrouver son statut de centre artistique international, alors que l’archipel a été durablement ébranlé par l’effondrement du marché de l’art dans le pays à la fin des années 1990. Afin de favoriser l’organisation de foires, la création de sociétés de ventes aux enchères et de galeries dans ses zones franches, les réglementations ont été assouplies en février 2021 concernant les procédures d’importation, les droits et les taxes dans ces zones, qui se chiffrent généralement en millions de yens pour les œuvres de grande valeur.
Conséquence, la création d’une nouvelle foire a été annoncée au début de l’année 2022. Tokyo Gendai se tiendra du 7 au 9 juillet 2023 dans le vaste centre de convention Pacifico Yokohama. Son arrivée imminente coïncide avec une intensification significative des ventes aux enchères, tant en nombre d’œuvres vendues qu’au niveau de l’augmentation des prix d’adjudication, notamment chez SBI Art Auction, basée à Tokyo et spécialisée dans les œuvres contemporaines.
« Vers 2017-2018, le nombre d’expositions qui affichaient complet a commencé à augmenter. Dans le même temps, les œuvres d’artistes de street art internationaux tels que KAWS, Banksy ou Invader ont commencé à voir leur prix s’envoler dans les ventes aux enchères locales, explique Satoru Arai, directeur et cofondateur de la galerie COMMON à Harajuku. Les prix des jeunes artistes japonais tels que Tomoo Gokita, MADSAKI, Kyne, Rokkaku Ayako ou Tide ont également commencé à augmenter ».
Comment expliquer ces changements ? Selon Shinji Nanzuka, propriétaire de Nanzuka Underground, une galerie d’art contemporain du quartier de Harajuku qui participe à la AWT, l’art est de plus en plus populaire, notamment porté par les jeunes générations et une fusion avec la mode. La création contemporaine a commencé à gagner en visibilité en 2018, mais le début de ce mouvement remonte à la fin des années 1990, lorsque des créateurs de marques de haute couture ont commencé à collaborer avec des artistes de street art tels que KAWS ou l’artiste japonais Takashi Murakami.
Cette recrudescence de jeunes collectionneurs est surtout le fait d’entrepreneurs à la tête de sociétés lucratives cotées en Bourse, spécifiquement dans le domaine de l’informatique.
Le virage en ligne
Ils s’inscrivent également dans une tendance plus vaste en Asie, où les jeunes collectionneurs, très dépendants de la communication en ligne via les réseaux sociaux, et qui font peu la distinction entre l’observation d’une œuvre d’art sur un écran ou en direct, se sont tournés vers les ventes en ligne avant et après la pandémie.
Autre participant à la AWT, Sueo Mizuma, dont la galerie d’art éponyme possède des espaces à Tokyo et à Singapour, se félicite de cette nouvelle génération de collectionneurs. Mais il observe également qu’ils recherchent des œuvres à acquérir sans nécessairement avoir une connaissance de la théorie et de l’histoire de l’art contemporain. « Beaucoup de ces collectionneurs n’ont aucune connaissance d’une partie importante de l’histoire de l’art japonais, comme les mouvements Mono-ha ou Gutai, analyse-t-il. Ils basent souvent leurs décisions purement sur la tendance et la popularité sur les réseaux sociaux, en général des œuvres en 2D ou du style illustratif, difficiles à saisir juste en les regardant en ligne et qui, la plupart du temps, n’ont aucune force lorsqu’elles sont réellement vues en direct. »
Cependant, d’autres, comme Shinji Nanzuka, considèrent que cette nouvelle génération de collectionneurs sont des représentants de « la démocratisation de l’art au Japon, dans la mesure où le marché de l’art, autrefois fermé, est devenu plus ouvert ». Reconnaissant que la perception de l’œuvre d’art comme un produit par la jeune génération peut conduire à une marchandisation et à une spéculation artistique, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes, il pense qu’ils servent également de déclencheur pour briser les frontières érigées par « la scène artistique conservatrice et autoritaire du Japon ».