Vous avez accueilli, de juin à août 2022, 6 300 visiteurs par jour en moyenne, soit « le meilleur été » de votre histoire. Comment gérez-vous un tel flux ?
L’impact des visiteurs est un domaine que nous scrutons de près. Cet extraordinaire résultat ne va pas sans poser la question de la qualité de « l’expérience visiteur ». Là est le revers du succès. Certes, nous ne dérogeons jamais aux normes légales, mais gérer simultanément des aspects aussi divers que la sécurité et la conservation est complexe. Nous souhaitons que le visiteur ait une expérience muséale satisfaisante, mais également, s’il se voit refuser l’entrée en raison d’une fréquentation trop élevée, qu’il ne soit pas frustré et revienne. Pour les derniers jours de l’exposition « Motion. Autos, Art, Architecture » qui s’est achevée le 18 septembre, nous avons étendu les horaires d’ouverture. Il y a en outre un équilibre à trouver entre les tickets vendus sur Internet et ceux vendus sur place – cela change tous les jours. C’est en combinant ces diverses actions que nous pouvons offrir, nous l’espérons, une bonne « expérience visiteur ».
Le Museo Guggenheim Bilbao a inclus dans son Plan stratégique 2021-2023 un « cadre stratégique de durabilité » dont les objectifs sont calqués sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’ONU. En quoi est-il « pionnier » ?
Nous sommes le premier musée à utiliser le protocole de calcul du bilan carbone « Scope 3 », qui prend en compte non seulement les émissions directes (Scope 1) et les émissions indirectes liées à l’énergie (Scope 2), mais aussi toutes les autres émissions indirectes non comptabilisées dans Scope 2 (Scope 3). Nous travaillons dans six domaines : une programmation durable, la biodiversité, la lutte contre la pollution, l’économie circulaire et la gestion des déchets, une consommation durable des ressources naturelles et, enfin, le changement climatique et l’efficacité énergétique. Afin de réduire le gaspillage énergétique, des appareils d’origine ont ainsi été remplacés et la technologie améliorée. Depuis l’ouverture, en 1997, nous avons réduit notre consommation énergétique de plus de 40 %. Autre exemple : entre 2015 et 2021, la totalité de l’éclairage halogène a été changée en LED. Elles sont moins agressives pour les œuvres et plus fonctionnelles, car on peut les graduer. Coût de l’opération : 1,3 million d’euros, un investissement amorti en cinq ans et qui nous a permis de diminuer la consommation électrique de 25 %.
Quelles sont vos autres pistes pour minimiser votre impact environnemental ?
Nous songeons à installer des panneaux solaires sur nos réserves situées en ville, voire sur le musée lui-même. Au 3e étage du musée, des lanterneaux avaient été à l’origine occultés pour une raison de conservation. Or, vingt-cinq ans plus tard, la technologie et la conservation ont évolué. Nous avons décidé de les rouvrir et réfléchissons à un éclairage dynamique qui, selon les moments de la journée, jonglerait entre lumière naturelle et LED, tout en respectant les normes de conservation. Nous dialoguons d’ailleurs avec le Comité pour la conservation du Conseil international des musées (ICOM-CC) à propos de paramètres de conservation plus flexibles et de nouvelles stratégies de contrôle.
Qu’en est-il des émissions indirectes, tel le transport d’œuvres ou de personnes ?
En 2019, nous avons mesuré l’empreinte carbone annuelle de notre activité, qui s’élève à 4 313 tonnes. Les émissions indirectes représentent environ un tiers, soit 1 535 tonnes. Deux tiers de celles-ci ont trait au transport des œuvres, le reste concerne le transport des personnes. Nous travaillons à leur réduction par le biais, notamment, de la location des emballages, du partage du transport avec d’autres établissements et de la diminution de l’accompagnement physique grâce à une supervision numérique. Les caisses sont munies de capteurs, et des caméras installées dans les véhicules permettent un suivi en continu durant leur trajet (température, pression de l’air, humidité, quantité de lumière, vibrations, chocs, etc.).
La réutilisation et/ou la mutualisation de scénographies peuvent-elles devenir une règle dans la production des expositions ?
À chaque fois que l’on aborde la problématique des déchets, on pense à ce fameux mantra des « Trois R : Réduire/Réutiliser/Recycler* ». Il correspond à notre philosophie. D’abord, « réduire » est un point de départ, voire une approche curatoriale. Nous essayons de moins fabriquer et, si nous construisons, nous nous posons la question de la « réutilisation ». Cela nécessite, pour un même espace, de visualiser en amont la programmation afin de repérer les éléments qui pourraient servir à plusieurs expositions. Réutiliser n’empêche aucunement de renouveler les scénographies. Lorsque des éléments ne sont plus utilisés, ils ne sont pas détruits, mais donnés à des écoles d’art ou des musées régionaux. Enfin, si le réemploi est impossible, les matériaux sont recyclés. Nous œuvrons d’ailleurs, en amont, avec nos contractants pour trouver diverses alternatives. À ces trois « R », j’ajouterais un quatrième : « Rechercher ». La recherche est un point crucial du développement durable. Nous sommes en lien constant avec les fabricants et d’autres institutions muséales pour être au fait des technologies et matériaux innovants.
Pour les 25 ans du musée, vous avez restauré l’une des œuvres extérieures emblématiques, la sculpture florale « Puppy » de Jeff Koons. Comment ?
Si la structure originelle en métal et en béton reste inchangée, l’œuvre a bénéficié d’une remise en état technologique complète. Un système de pompe et d’irrigation automatisé très sophistiqué a été installé, qui améliore le contrôle et évite les fuites. Un pluviomètre numérique optimise la consommation d’eau requise par l’œuvre. Il rend compte à tout moment du niveau d’humidité et des besoins réels en eau. L’entretien est plus économique.
Dans ce registre de la durabilité, la grande toile publicitaire à l’extérieur du musée joue également un rôle. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Que ce soit la grande toile d’annonce des expositions tendue à l’entrée du musée ou la multitude de bannières hissées dans la ville et placardées sur les tramways, le principe est le même. Celles-ci, lors de l’impression, se voient appliquer un produit développé par l’entreprise américaine Pureti, qui aide à dépolluer l’air alentour. La surface traitée devient autonettoyante et, grâce à une photocatalyse – la lumière solaire provoque une réaction chimique –, elle fait office de purificateur d’air, capturant des polluants atmosphériques tels les dioxydes de soufre et les oxydes d’azote. À la fin de leur cycle, ces toiles sont offertes à des associations caritatives comme Emmaüs, qui les recyclent sous forme d’accessoires (sac, portefeuille, tablier). La recette des ventes est distribuée à des œuvres sociales. Il s’agit d’une sorte d’économie circulaire.
Cette préoccupation environnementale ne passe-t-elle pas aussi par une sensibilisation du personnel du musée ?
Assurément, c’est pourquoi nous avons créé, en interne, un groupe de travail baptisé « Gu-Zero », gu en basque signifiant « nous ». En clair : « Nous voulons être zéro carbone ». Ce groupe associe une douzaine de personnes issues de chaque service, afin de sensibiliser l’ensemble des équipes et d’évaluer les opportunités de gagner en efficacité. À une échelle supérieure, nous avons aussi formé un groupe de travail avec le Guggenheim Museum de New York et la Peggy Guggenheim Collection, à Venise. Baptisé « Sustainability in the Constellation », il se réunit plusieurs fois par an.
Qu’en est-il de la sensibilisation du public ?
C’est l’un de nos objectifs principaux. Un musée est un espace où l’on découvre et où l’on partage, le lieu parfait pour générer ce type de discussion. Par exemple, pour l’exposition « Motion. Autos, Art, Architecture », Norman Foster, son commissaire, a souhaité montrer des projets d’étudiants qui témoignent de la manière disruptive dont ils imaginent le transport de demain. C’est une façon de susciter la discussion et de matérialiser une connaissance sur le sujet. Nous concevons également des programmes publics, destinés aux scolaires notamment, qui mêlent des artistes et des scientifiques. Les 12 et 13 septembre, nous avons organisé une conférence sur le thème « Mobilités du futur ». Le 6 octobre, nous accueillons un symposium international, « Les Écologies de l’eau. Un cadre de coopération entre l’art, la science et la technologie », qui souligne l’importance de l’eau pour l’avenir de la Terre. L’accès est gratuit.
* La « 3R Initiative : Reduce, Reuse, Recycle » est apparue au 30e Sommet
du G8, aux États-Unis en 2004, puis a été entérinée l’année suivante au Japon.