« Artiste-monde ». C’est ainsi qu’Aurélie Verdier, commissaire de cette édition du prix Marcel Duchamp, qualifie Iván Argote. Pour ce Colombien né en 1983 et établi dans la capitale française depuis ses études aux Beaux-Arts de Paris, la dimension du voyage est intrinsèquement liée à sa pratique, qui s’étend sur tous les continents. Chaque zone géographique parcourue est l’occasion « d’interroger notre rapport intime aux autres, aux institutions, au pouvoir et aux systèmes de croyances ». Cette remise en question passe souvent par la prise de parole publique, autre composante essentielle de son œuvre, qui va de pair avec un engagement politique fort. Élevé par des parents proches des combats révolutionnaires, Iván Argote a grandi en Colombie au sein d’un mode de vie communautaire politisé. Il perpétue cette tradition militante dans son travail plastique.
Au travers d’installations sculpturales ou de performances filmées, son œuvre incite à repenser notre manière d’occuper l’espace public par ce biais de la radicalité et de l’engagement, avec pour mot d’ordre une inversion des logiques de pouvoir. « Mes œuvres sont des réflexions sur la façon dont nous nous comportons, comment nous comprenons notre environnement proche et comment [celui-ci] est relié à l’histoire, aux traditions, à l’art, à la politique et au pouvoir. » Une démarche tant politique que ludique et poétique qui lui permet de jouer sur la suggestion pour décentraliser les récits historiques de nos sociétés. Iván Argote aime décrire sa pratique par l’oxymore « radicalement tendre ». Cette expression, qui, depuis longtemps, informe son travail, nous assigne une place mouvante et libre.
Pour le prix Marcel Duchamp, l’installation sculpturale A Place To Stay fait dévier le destin de trois monuments historiques issus de notre passé colonial afin de reconsidérer la « mémoire d’oubli » qui nous traverse. La statue du général Gallieni à Paris, un obélisque à Rome et une sculpture de Christophe Colomb à Madrid, symboles « d’un pan de l’histoire qui ne passe pas », sont mis à mal dans trois vidéos qu’Iván Argote appelle films d’anticipation. Des obélisques démembrés recouverts de velours rose, pensés comme des « antimonuments ludiques et poétiques », servent d’assise aux spectateurs pour observer mais aussi converser. Durant le temps de l’exposition, Iván Argote organise trois rencontres autour des débats décoloniaux.
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« Prix Marcel Duchamp 2022. Les nommés », 5 octobre 2022 - 2 janvier 2023, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.