Depuis le début la pandémie de Covid-19, les grandes maisons de ventes aux enchères ont pris des libertés avec la manière et le moment d’organiser leurs vacations. Peu avant de quitter son poste de directeur général de Phillips, Edward Dolman avait déclaré que la pandémie avait « fait exploser le calendrier traditionnel des ventes ». Quelques mois avant cette déclaration fracassante, Christie’s a abandonné le format traditionnel de ses ventes en remplaçant les désignations « Impressionniste et moderne » et « Après-guerre et contemporain » par « Art du XXe siècle » et « Art du XXIe siècle ». Cette saison, les deux ventes se tiendront l’une à la suite de l’autre, brouillant encore davantage la séparation entre les périodes, les écoles, les catégories et même, parfois, les artistes.
Les enchères auront lieu le 17 novembre chez Christie's à New York, et les deux sessions comportent d’importants lots. La vente du soir du XXe siècle aura pour vedette l’œuvre de Willem de Kooning intitulée Untitled III (vers 1977-1980). Réalisé dans sa maison des Hamptons à Springs, dans l’État de New York, ce tableau de grand format est un excellent exemple de la méthode utilisée par De Kooning pour peindre ses paysages abstraits. Le vendeur l’a acquis directement auprès de la famille De Kooning en 2014.
« Dans cette œuvre, De Kooning montre vraiment sa capacité à renouveler la peinture, explique Ana Maria Celis, à la tête du département d’art d’après-guerre et contemporain chez Christie’s. Lorsque vous vous tenez devant cette œuvre, vous ressentez vraiment l’influence hollandaise. Il devient tellement évident que De Kooning était un artiste néerlandais – l’importance du blanc, de la lumière, qui en est le centre. La façon dont il joue avec le blanc pour ajouter de la lumière et de l’ombre est vraiment magnifique. » Avec une estimation aux alentours de 35 millions de dollars, Untitled III pourrait devenir l’une des trois œuvres de De Kooning les plus chères vendues aux enchères – bien qu’en ventes privées, ses œuvres se soient vendues beaucoup plus cher. Le gestionnaire de fonds spéculatifs Kenneth Griffin aurait payé par exemple 300 millions de dollars au magnat du cinéma et de la musique David Geffen pour Interchange (1955), une peinture de De Kooning datant de 2016.
La vente du XXIe siècle ne compte pas un, mais deux brillants lots phares. Le premier est la sculpture en acier inoxydable Jim Beam - J. B. Turner Train (1986) de Jeff Koons, issue de la série Luxury and Degradation de l’artiste. Seules trois de ces sculptures longues de près de 3 mètres ont été réalisées (plus une épreuve d’artiste, que Christie’s a vendue en 2014 pour plus de 33 millions de dollars). Le train est estimé entre 15 et 20 millions de dollars et, pour ceux que cela intéresse, The Art Newspaper a reçu l’assurance qu’il est toujours rempli de bourbon.
L’autre lot vedette de la vente du XXIe siècle fait paraître l’œuvre de Jeff Koons petite en comparaison. La sculpture de Charles Ray Revolution Counter-Revolution, un carrousel massif en acier, a été réalisée entre 1990 et 2010. Elle est estimée entre 3 et 5 millions de dollars, bien que Charles Ray ait été au centre de l’actualité après les récentes expositions de ses œuvres au Metropolitan Museum of Art de New York, au Centre Pompidou et à la Bourse de Commerce-Pinault Collection à Paris. Cette sculpture, comme celle de Jeff Koons, provient de la collection de l’industriel chypriote grec Dakis Joannou. Le carrousel de Charles Ray était l’une des attractions vedettes de l’exposition controversée d’œuvres de la collection personnelle de Dakis Joannou organisée par Jeff Koons en 2010 au New Museum à New York, dont le collectionneur est membre du conseil d’administration. « Chacune [de ces sculptures est un] chef-d’œuvre dans le domaine de l’art contemporain, affirme Isabella Lauria, responsable de la vente du soir du XXIe siècle, En faisant référence au quotidien, ces œuvres offrent un commentaire subtil mais puissant sur la marchandisation, notre perception de la réalité et le clivage au sein de notre conscience culturelle collective ».