Répartie dans une cinquantaine de chambres de l’hôtel Moxy- de Lille, Around Video ne manque pas d’allure. De fait, l’établissement est situé dans l’ancienne faculté de médecine et de pharmacie totalement rénovée, avec sa façade monumentale aux briques vernissées datant de la fin du XIXe siècle, par ailleurs classée, prolongée par deux ailes qui encadrent sa cour d’honneur.
La foire occupe quatre des cinq niveaux du bâtiment, selon un principe simple : une galerie par chambre et un artiste par galerie. Parmi les cinquante exposants, on compte une quarantaine de galeries et une dizaine d’expositions personnelles d’artistes invités, car non (encore) représentés par une enseigne. Ils sont exactement placés dans les mêmes conditions que leurs confrères plus établis et disposent tous d’une chambre munie d’un écran plat. Cette équivalence de traitement entre les exposants permet une juste évaluation entre les œuvres projetées et surtout une prise de contact facilitée entre artistes et galeries - presque tous présents lors des trois jours de la foire - et les visiteurs, en grande partie des professionnels. Cette dimension conviviale que rend possible la configuration des lieux constitue un des atouts de ce salon, particulièrement apprécié par le galeriste Michel Rein : « c’est très rare de pouvoir partager des moments comme les petits-déjeuners entre confrères, avec les artistes ou de discuter avec eux sur le pas de la porte de notre chambre », confie-t-il.
Cette foire vidéo a été fondée par le couple de collectionneurs Renato et Catherine Casciani, fortement impliqué dans la vie culturelle de la métropole lilloise et au-delà. Leur collection compte près de 20 % d’œuvres vidéo. Leurs trois derniers achats ont précisément été réalisés sur cette édition d’Around Video. Parmi les nombreux prix décernés durant la manifestation figure en effet le prix Now/Here, qui comprend l’acquisition par le couple de trois œuvres. Il s’agit de celle de Melanie Bonajo (galerie Akinci, Amsterdam), Pierre Liebaert (Archiraar, Bruxelles) et Sarah Trouche (Marguerite Milin, Paris). Leur point commun : des questionnements sur l’identité, notamment sexuelle, ou le rapport du corps nu à la nature.
En outre, les trois Prix Around Video ont été décernés : le premier (doté de 2 000 euros) a été attribué à Pauline Curnier Jardin (galerie Ellen de Bruijne, Amsterdam) ; le deuxième (1 500 euros) à Enrique Ramirez (Michel Rein, Paris-Bruxelles) ; et le troisième à Laura Gozlan (Valeria Cetraro, Paris), ce qui vaudra à sa galerie d’être invitée gratuitement l’année prochaine. Le prix du Centre Wallonie-Bruxelles (Paris) a été remis à Eugénie Touzé, pour son authentique travail vidéo de plan-séquence sur la lumière nocturne imperceptible à l’œil humain.
On l’aura compris, la foire offre un large panorama des multiples pratiques de la vidéo allant de la fiction et du documentaire créatif à l’engagement social ou écologique, en passant par différentes formes d’expérimentations - installation, images en 3D ou réalité virtuelle. Pour les premières, on fait référence ici aux solos shows de Dimitri Mallet et de Nicolas Tourte dans les vastes sous-sols de l’hôtel et pour les secondes aux œuvres proposées notamment par les galeries Société (Berlin) avec Trisha Baga, Alberta Pane (Paris) avec Marie Lelouche et surtout Binôme (Paris) avec le diptyque vidéo Soleil noir de Thibault Brunet, ainsi que ses étonnants livres de photographies aux tranches sculptées dans la masse du papier, concrétisant les falaises du cap Gris-Nez, dans le Pas-de-Calais (tirage de 5 exemplaires à 4 200 euros pièce).
Si la plupart des œuvres datent de ces cinq dernières années, la galerie Nadja Vilenne (Liège) proposait un saut dans le temps avec une pièce historique et presque prémonitoire de Jacques Lizène, qui remonte à 1971 (Tentative d’échapper à la surveillance d’une caméra). Elle a d’ailleurs obtenu une « mention spéciale ». Éditée à 5 exemplaires, « elle a trouvé place dans une importante collection privée et suscité aussi l’intérêt d’institutions », nous confie la galeriste.
Cette clientèle institutionnelle reste la cible privilégiée des marchands, comme le confirme Catherine Issert (Saint-Paul-de-Vence) : « Ici, on touche un public averti ; c’est très important. Même si l’artiste n’a pas obtenu de prix, son travail a été vu de façon attentive par le jury. Cela peut faire boule de neige, notamment auprès d’autres institutions de la région. Ce n’est pas une foire commerciale à proprement parler, même si l’on touche quelques collectionneurs ».