Lucian Freud est-il trop exposé ? Cette question un rien déplacée, la National Gallery se l’est néanmoins posée, alors qu’elle ouvre samedi 1er octobre son exposition phare sur Lucian Freud (1922-2011), à l’occasion du centenaire de la naissance du peintre. Au cours des deux dernières décennies, près d’une douzaine d’expositions ont été consacrées à son œuvre ne serait-ce qu’à Londres, dont de grandes rétrospectives à la National Portrait Gallery en 2012 et à la Royal Academy of Arts en 2019. L’année dernière, Freud a été exposé à la Tate Liverpool, tandis que plusieurs expositions de moindre importance se dérouleront en même temps que celle de la National Gallery.
Selon Daniel F. Herrmann, responsable des projets modernes et contemporains à la National Gallery, qui a assuré le commissariat de « Lucian Freud : New Perspectives », l’institution est capable de faire bouger les choses : « Sa popularité témoigne de la qualité de son travail : les gens aiment le voir et il y a beaucoup à voir. Mais j’ai aussi le sentiment que nombre d’expositions montrent des façons d’aborder Freud sans innover. C’est le moment idéal pour reconsidérer son œuvre. C’est ce que nous essayons de faire et ce que, franchement, nous avons la chance de pouvoir réaliser dans cette institution. »
La démarche de Daniel F. Herrmann consiste essentiellement à reconsidérer cette figure majeure. « Les jeunes artistes s’intéressent à son travail en ce moment, dit-il. Il y a une véritable résurgence de la figuration, ce qu’elle représente, comment elle transmet des messages, ce qu’elle peut produire. Toutes ces questions se retrouvent dans Freud. »
Alors, quels sont les fondements de cette nouvelle approche ? Daniel F. Herrmann affirme admirer « l’engagement de Freud dans la pratique de la peinture », qui « s’accompagne d’une certaine radicalité ». « Ce travail exige et mérite un regard radical, poursuit-il. On apprend beaucoup en essayant de comprendre la construction de chaque tableau ». L’intérêt de Freud pour la chair et la nudité en est un élément clé. « Il s’agit de la quête de la vérité. Non pas à travers la simple vraisemblance, le photoréalisme en quelque sorte, mais la véracité – quelle est la vérité d’une personne ? Freud fait cette analogie : la vie est de la peinture, la chair est de la peinture, la peinture est de la chair. »
Pour étayer son affirmation de la présence d’une nouvelle figuration, Daniel F. Herrmann a demandé à Tracey Emin, Jutta Koether et Chantal Joffe de contribuer au catalogue ; toutes parlent de la crudité et de l’intimité que Lucian Freud a atteintes. Herrmann suggère qu’il y a eu un changement radical dans la manière dont les images les plus spectaculaires de Freud – les portraits de Leigh Bowery et de Sue Tilley – sont perçues. « Il y a dix ou vingt ans, on disait souvent de Freud qu’il était un peintre à l'"œil impitoyable", ou au "regard cruel". Mais en fait, les choses que les gens trouvaient cruelles provenaient de leurs propres jugements sur le sujet. Freud peint un personnage avec un corps non normatif, pour en vérité le célébrer. C’est pour cela que les gens s’intéressent à la figuration aujourd’hui : c’est une façon de traiter l’identité et la personne, cela nous donne un moyen de réfléchir sur nous-mêmes. »
Daniel F. Herrmann tient à souligner le lien personnel qu’entretenait Lucian Freud avec la National Gallery, où il était parfois autorisé à se promener après les heures d’ouverture. C’est là que l’artiste a développé un intérêt pour les références aux chefs-d’œuvre dans ses propres tableaux, notamment dans Large Interior W11 (after Watteau) (1981-1983), inspiré par le peintre français du XVIIIe siècle. Mais Herrmann cite également l’autoportrait nu de Freud, Painter Working, Reflection (1993), qui, selon le conservateur, fait allusion à la fois au tableau de Vincent van Gogh représentant ses bottes et à l’autoportrait de Michel-Ange en saint Barthélémy, représenté tenant sa propre peau écorchée.
Cette manifestation sera-t-elle l’exposition définitive sur Freud ? Daniel F. Herrmann espère que non. « Freud est l’un des meilleurs artistes figuratifs au monde et il mérite d’être regardé avec un œil neuf, avance-t-il. Lorsque les gens auront l’occasion de réévaluer son œuvre, j’espère que cela permettra à l’avenir de nombreuses nouvelles expositions, de nouvelles questions et de nouvelles réflexions. »
« Lucian Freud : New Perspectives », 1er octobre 2022 - 22 janvier 2023, National Gallery, Londres