C’est dans le cadre somptueux du Palazzo Corsini, ancienne demeure princière bordant l’Arno, qu’ouvre demain au public la Biennale internationale des antiquaires de Florence. Un site qui confère à l’événement une atmosphère unique : après l’allée d’accueil qui ressemble davantage à un salon classique, le visiteur déambule à travers un dédale sur deux niveaux au gré de couloirs et de salons somptueusement décorés où sont établis des stands. Il traverse même une insolite grotte en rocaille nichée au cœur de ce palais baroque.
Après une pause en 2020 en raison de la crise sanitaire, la Biennale fait un retour en beauté. Sous la houlette de son secrétaire général, le marchand Fabrizio Moretti, qui grâce à son vaste réseau, en a rehaussé le niveau, elle rassemble autour de 80 exposants. Dont un solide noyau d’enseignes italiennes à l’envergure internationale, disposant souvent d’espaces à l’étranger, notamment à Londres, ou de solides connexions avec la capitale britannique. C’est d’ailleurs d’Angleterre qu’arrivent un nombre non négligeable de pièces, en importation temporaire, à l’instar d’une sculpture de Niccolò dell’Arcca proposée à 500 000 euros par la galerie Maurizio Nobile.
Tout comme en France, la protection du patrimoine national – qui vise toute œuvre de plus de 70 ans estimée au-dessus de 13 500 euros – reste un sujet sensible pour le marché de l’art en Italie. Fabrizio Moretti estime que sur la foire, environ 10 % des œuvres sont ainsi interdites d’exportation hors du territoire transalpin. Et donc réservées aux collectionneurs et musées nationaux. Sur le stand de la galerie Canesso, peu après l’entrée de la foire, trône une incroyable sculpture en pierre d’un sculpteur lombard de la fin du XVIe siècle inspirée d’Arcimboldo. Ce gardien du jardin, « ni Vertumne ni Pomone », comme le précisait le texte en latin sur la base, soit ni dieu ni homme, jamais vu sur le marché, est proposé à 550 000 euros. Si une partie des pièces ne peut sortir du territoire, reste une abondance d’autres objets bénéficiant cette fois d’une licence à l’exportation. C’est le cas, à la galerie Salamon, d’un rare portrait d’Eléonore de Médicis (sœur de Marie de Médicis) par Alessandro Allori (à 320 000 euros).
Pour attirer un public international, la Biennale jouit d’une carte maîtresse : Florence et la Toscane. Jeudi soir, au très chic dîner de gala de 800 personnes couronné par un scintillant feu d’artifice sur le fleuve, se pressaient des Italiens venus de tout le pays. Mais aussi quelques collectionneuses asiatiques, des Anglais, des Français, et une poignée d’Américains. Fabrizio Moretti attendait la visite de Jon Landau, manager de Bruce Springsteen, passionné de sculpture, et venu spécialement des États-Unis.
Ce beau monde, qui a d’ailleurs commencé à acheter dès la première soirée du dîner, comme en témoignaient les points rouges, avait l’embarras du choix parmi une extraordinaire variété de peintures, sculptures et objets anciens, notamment des XVe et XVIe siècles. Le prix de la majeure partie des œuvres les plus importantes tourne autour de 500 000 euros, avec également beaucoup de pièces bien plus abordables, de petites sculptures aux objets ornés de corail typiquement napolitains. Croisé dans les allées, Guillaume Kientz, directeur de l’Hispanic Society Museum and Library à New York, a eu des coups de cœur pour un portrait de l’historien de l’art Giovanni Pietro Bellori par Carlo Maratti chez Alessandra Di Castro, pour le Banquet d’Absalom de Niccolò Tornioli chez Robilant+Voena ou encore un apôtre anonyme chez Di Penta. « Une merveilleuse énigme ! », confie-t-il.
« La Biennale de Florence est un vrai salon d’antiquaires dédié à l’ancien, avec une très belle fréquentation italienne et un peu américaine, et très bien organisée par Fabrizio Moretti », confie Maurizio Canesso. Parmi les peintures les plus inattendues figure chez Antonacci Lapiccirella Fine Art… un Autoportrait de Giorgione, réalisé comme un canular par Antonio Canova, qui voulait montrer par là même qu’il était aussi un grand peintre !
Contrairement à d’autres salons, les marchands d’art ancien ne forcent pas le dialogue avec l’art moderne et souvent s’en tiennent à leur spécialité. Ce qui n’empêche pas d’autres enseignes de mettre en avant l’art moderne et contemporain. Cette ouverture récente de la Biennale de Florence reste néanmoins tamisée, avec la participation de Robilant+Voena, de la Galleria Continua – qui expose entre autres Anish Kapoor –, de Tornabuoni Art, qui présente un tableau de Burri à 3 millions d’euros ainsi qu’un dessin de Kandinsky de 1936 à 700 000 euros. Figure encore un textile peint par Paul Klee en 1938 chez Farsetti à 500 000 euros, tandis que Giglio a accroché, actualité oblige, un portrait de la reine Elisabeth II par Andy Warhol (à 480 000 euros). Quant à Poggiali, qui ouvre dans son espace en ville une exposition inédite d’Erwin Wurm, elle montre Claudio Parmiggiani et Arnulf Rainer. Une façon d’ouvrir le champ, sans se dénaturer.
Biaf, Palazzo Corsini, Florence, Italie, jusqu'au 2 octobre.