Joli coup pour le musée Matisse à Nice et sa directrice, Claudine Grammont : dans le cadre de la Biennale de Nice orchestrée par Jean-Jacques Aillagon, elle a eu l’idée de nouer un dialogue ambitieux entre David Hockney et l’artiste français. « Je l’ai rencontré dans son exposition au Centre Pompidou [en 2017] et nous avons parlé de Matisse, confie Claudine Grammont. J’ai pensé à la série des Fresh Flowers quand est venu le thème de la Biennale sur les Fleurs ».
La mezzanine qui surplombe le hall d’entrée du musée accueille ainsi cette étonnante série réalisée par Hockney sur iPad, d’une fraîcheur éclatante contrastant avec ses cadres désuets soigneusement choisis par le peintre, qui assume ce « bad taste » très british accentué par le motif des nappes à carreaux. La série a été réalisée dans sa maison de Normandie… essentiellement en hiver grâce à des bouquets livrés à domicile. La série est mise en regard de motifs découpés, répertoire de formes utilisées par Matisse pour les grands collages de ses dernières années. Deux procédés très contemporains employés par des artistes vieillissants et très jeunes d’esprit au faîte de leur art…
Passé cet incipit floral honorant le thème de la Biennale, c’est une vraie rétrospective qui s’offre au visiteur grâce à quelque 70 œuvres prêtées par la fondation de l’artiste. Le fil conducteur est constitué par les liens entre Hockney et Matisse. « Aux États-Unis, Hockney a vu beaucoup de Matisse au Lacma de Los Angeles ou au MoMA de New York, ainsi qu’à Londres en 1968 à la Hayward Gallery », souligne Claudine Grammont. Dans une petite salle, une vidéo montre, au ralenti, Matisse peignant, passionnant film de François Campaux. Mais aussi l’iPad d’Hockney reproduisant, cette fois en accéléré, tout le processus créatif, un peu à la façon du Mystère Picasso de Clouzot. Les liens entre les deux artistes sont nourris : Hockney s’était inspiré de la Danse de Matisse pour concevoir dans les années 1980 les décors de trois spectacles au Metropolitan Opera de New York de trois Français – Satie, Poulenc et Ravel. Fasciné par cette œuvre, le Britannique ira même jusqu’à reprendre ses trois couleurs pour son nouvel atelier californien…
Pendant ses études à la Royal Academy de Londres, Hockney a fait un mémoire sur le Fauvisme. Sa palette comme sa vision du corps change au contact de Matisse. Dans les salles consacrées aux portraits et autoportraits, l’influence est flagrante. Autre point de rapprochement : le paysage. L’accrochage impeccable rapproche le jardin de Matisse à Issy de 1917, parmi les œuvres les plus abstraites de l’artiste, prêt de la Fondation Beyeler (Riehen), de deux VN Paintings de Hockney de 1992 qui les encadre. Plus loin, les affinités sont plus que patentes dans la palette et le goût des motifs luxuriants, tant chez Matisse que chez Hockney, qui s’inspire de la végétation exotique de Los Angeles, un œil sur le travail du Français. En définitive, il n’y a que dans les nus masculins, parfois assez audacieux, qu’Hockney diverge sensiblement de son aîné, peu attiré par le sujet. Et encore : Hockney emprunte - consciemment ? - à Matisse la palette et la cadrage de certains motifs marocains...
En définitive, ce qui les rapproche le plus est sans doute leur goût hédoniste pour la joie de vivre et la beauté, pour la couleur aussi, délivrant un message de bonheur aux antipodes des tourments actuels de la société.
« Hockney-Matisse, un paradis retrouvé », jusqu’au 18 septembre, Musée Matisse, 164, avenue des Arènes de Cimiez, 06000 Nice.