Près de deux ans se sont écoulés depuis l’explosion dévastatrice d’un entrepôt de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth, au Liban, responsable de plus de 217 morts et 7 000 blessés, ainsi que de dégâts considérables dans les quartiers voisins de Gemmayzeh et Mar Mikhaël. L’explosion a fait s’écrouler totalement des maisons anciennes et a causé des pertes incommensurables aux structures et aux façades de certains des exemples uniques au Moyen-Orient de bâtiments ottomans-vénitiens du XIXe siècle.
L’architecte franco-libanaise Annabel Karim Kassar revient sur ces événements en présentant au Victoria & Albert Museum de Londres une exposition témoignant des restaurations architecturales entreprises sur place. Intitulée « The Lebanese House : Saving a home, Saving a City », cette présentation constitue une réponse poétique à la catastrophe, retraçant la croisade personnelle de l’architecte pour restaurer l’un des plus beaux exemples ayant subsisté de maisons ottomanes-vénitiennes dans le vieux Beyrouth.
Élevée dans le musée par des artisans beyrouthins venus à Londres spécialement, la reconstitution de l’élément le plus marquant de la maison, la triple arcade de la façade, attire le regard du visiteur vers le ciel. Cette réplique vise à reproduire une expérience visuelle similaire à celle que l’on peut avoir en se promenant dans les rues pavées du vieux Beyrouth.
La façade à triple arcade est complétée par des assises dans le style traditionnel du liwan, souvent placées dans les grands halls d’entrée de ces maisons. Les sièges du liwan sont constitués de coussins rembourrés ressemblant à des matelas. L’installation conçue par Annabel Karim Kassar invite les spectateurs à contempler et à imaginer l’expérience sensorielle d’une telle maison, où les hauts plafonds et la lumière méditerranéenne filtrant à travers les grandes vitres de la triple arcade évoquent une expérience de calme.
L’exposition est complétée par des archives numériques permettant aux visiteurs d’explorer divers éléments architecturaux des vieilles maisons de Beyrouth, tels que les balcons, les corniches, les toitures à fermettes en bois et les plafonds peints, qui caractérisent de manière unique l’architecture vernaculaire libanaise privée qui s’est formée au fil des siècles à partir des influences de la culture et de l’histoire byzantines, classiques et phéniciennes dans la vieille ville portuaire.
Sont également présentés trois films commandés par l’agence d’architecture AKK d’Annabel Karim Kassar. Les réalisateurs Wissam Charaf et Florence Strauss y ont interrogé des Beyrouthins sur l’impact émotionnel que l’explosion avait eu sur les citoyens de divers quartiers de la ville. Le film montre également l’effet que la destruction physique d’espaces privés et publics a eu sur un pays déjà secoué par des bouleversements politiques et économiques. « Nous pensons qu’en sauvant un bâtiment, on peut sauver une ville », est convaincue Annabel Karim Kassar.
Son engagement en faveur de la préservation des bâtiments anciens de Beyrouth remonte à son projet de restauration, dans le vieux quartier historique, du marché de Beyrouth, un concours international qu’elle a remporté après la fin de la guerre civile au Liban. Aujourd’hui, les Souks, un espace commercial du centre-ville de Beyrouth, ont dynamisé la vie quotidienne et contribué à relier les deux côtés d’une ville autrefois divisée par les combats quotidiens. Ces restaurations architecturales ont contribué à faire de Beyrouth une destination glamour de shopping et de loisirs dans la région. En outre, elles servent aujourd’hui d’exemples aux gouvernements des pays voisins, comme l’Égypte, qui a également commencé à restaurer ses marchés historiques afin de préserver l’importance culturelle de ces sites.
« Cette présentation cherche à montrer les importantes leçons que nous tirons en matière de restauration et de rénovation urbaine, et qui peuvent être appliquées ailleurs, explique Annabel Karim Kassar. Les communautés locales et internationales doivent être mobilisées et s’impliquer directement pour protéger leur patrimoine urbain commun. La restauration ne consiste pas à recréer une histoire synthétique, mais à trouver une nouvelle fonction vivante pour les bâtiments traditionnels, une approche qui est au cœur de mon travail. »
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« The Lebanese House : Saving a home, Saving a City », jusqu'au 21 août 2022, Victoria & Albert Museum, Londres, www.vam.ac.uk