L’époque est à la relecture d’œuvres d’artistes américains longtemps installés en France et qui n’ont pas toujours bénéficié de la reconnaissance institutionnelle qu’ils auraient méritée. À Clermont-Ferrand, le FRAC Auvergne met en exergue cet été le travail de Charles Pollock, trop longtemps occulté par son illustre frère Jackson. Le Centre Pompidou offre, lui, ses cimaises à Shirley Jaffe pour une rétrospective initiée de son vivant par Bernard Blistène et Frédéric Paul, commissaire de la manifestation. Arrivée en France en 1949, la peintre fait au début des années 1950 partie d’une communauté de près de trois cents artistes américains installés dans l’Hexagone. Elle devient proche de Jules Olitski, mais aussi de Jean Paul Riopelle, Sam Francis ou encore Joan Mitchell, ces derniers longtemps représentés à Paris comme elle à partir de la fin des années 1960 par la Galerie Jean Fournier, qui l’a un peu mis au second plan.
L’exposition commence par sa production des années 1950, marquée par l’expressionnisme abstrait. Certaines des pièces présentées font partie des douze œuvres reçues en dation après sa disparition (le choix s’est porté sur des travaux datant de 1952 à 1968). Shirley Jaffe est représentée à cette époque par la galerie Handschin de Bâle, ville de suisse où elle est plusieurs fois exposée à la Kunsthalle à l’initiative de son directeur de l’époque, Arnold Rüdlinger.
Tout en restant abstraite, son œuvre opère un virage stylistique saisissant à la toute fin des années 1960, ce que certains de ses congénères américains considéreront comme une trahison. Dans ces compositions se lit l’influence des papiers collés de Matisse que l’artiste a vus exposés par François Mathey au musée des arts décoratifs de Paris en 1961 et qui l’ont beaucoup marquée. S’affirment des aplats de couleur et des agencements de formes géométriques qui deviendront jusqu’à la fin de sa vie son style. L’exposition comprend par exemple l’ensemble de toiles réunies sous le titre Malibu et réalisé en 1979, commande privée pour une chambre d’adolescent.
L’artiste bénéficie de sa première exposition institutionnelle en France en 1981, invitée par Françoise Guichon au musée savoisien de Chambéry. Ses œuvres intègrent des collections publiques, notamment le musée de Grenoble, mais aussi le musée national d’art moderne par deux fois sur les fonds du directeur, à savoir Dominique Bozo et Germain Viatte. À partir de 1999, elle est représentée par la galerie Nathalie Obadia, qui lui donnera un confort matériel qu’elle n’avait pas connu auparavant, ayant même traversé des périodes économiquement difficiles. L’enseigne parisienne s’est aussi vue confier l’estate de l’artiste après sa disparition.
Au sein de cet accrochage chronologique, l’exposition réunit sous vitrine des documents, mais aussi des bristols crayonnés qui montrent la construction de certaines des toiles, ensemble de dessins annotés de sa main. Le parcours s’achève avec des œuvres des années 2000, notamment exposées à la Galerie Greta Meert à Bruxelles.
Parallèlement à cette rétrospective et à son catalogue, un numéro de la revue Transatlantique, placé sous la direction de Frédéric Paul, réunit des textes d’artistes qui reviennent sur le travail de Shirley Jaffe et sur son influence.
« Shirley Jaffe. Une Américaine à Paris », jusqu’au 29 août 2022, Niveau 4 – Galerie d’art graphique et Galerie du Musée, Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris