Acquis il y a trois décennies par Patricia et Éric Laigneau, le château du Rivau a d’abord été entièrement restauré, avant d’ouvrir ses portes au public en 2000. « Mon mari et moi collectionnons depuis plus de quarante ans. Notre première œuvre, en 1976, fut une toile de Gaston Chaissac. L’art contemporain m’a ouvert les yeux sur le monde, avance Patricia Laigneau. Je voulais faire du Rivau une sorte de cabinet de curiosités mais en version contemporaine. » Le domaine accueille l’art de deux manières : dans les jardins sous forme d’un parc de sculptures et, depuis 2013, dans les salles historiques avec une exposition. Ayant cette année pour thème « Le Jardin, miroir du monde », cette dernière rassemble une quarantaine d’artistes – dont Orlan, Thomas Houseago, Robert Mapplethorpe ou Klara Kristalova – et mêle prêts et pièces de la collection Laigneau. Entre la symbolique de la flore au Moyen Âge et les problématiques actuelles comme l’urgence climatique ou la préservation de la nature, le parcours se scinde en six chapitres : « Le motif floral », « Le cabinet des oiseaux », « Naturalia », « Le jardin intérieur », « Conter fleurette est-il toujours d’actualité ? » et « Demain sera-t-il vert ? ».
CONTER FLEURETTE EST-IL TOUJOURS D’ACTUALITÉ ?
Une thématique consacrée au jardin ne peut, évidemment, ignorer la flore. Celle que compose Satoshi Saïkusa – en un splendide tirage au charbon, Gazouillements II – génère une telle distorsion que l’on ne parvient pas à distinguer si le bouquet est d’amour ou... mortuaire. Idem avec ce cliché de Joan Fontcurberta (Saxifraga paniculata), sur lequel une fleur délicate est, en réalité, constituée de détritus industriels et organiques. On l’aura compris, à l’instar de cette graine de lotus sculptée en bronze par Gavin Turk (Odyssée) imitant avec une diabolique perfection la plante aquatique, la beauté est un leurre. D’ailleurs, les piafs – mot médiéval – du « Cabinet des oiseaux » nous le serinent : ainsi des spécimens évanescents dessinés par Jean-Luc Verna ou de ceux, joyeux, en textile brodé et en volume de Renate Rabus. Raphaëlle Péria, elle, gratte au scalpel la photographie, générant un décisif relief (Le Marché aux oiseaux #1). Tandis que Le Hibou de Bertrand Gadenne (vidéo) nous laisse songeurs, à nous fixer droit dans les yeux, presque autant que nous le fixons. La nature nous absorbe par son étrangeté – à travers les céramiques d’ Ann Iris Lüneman. Elle peut se faire carnivore, tel cet intrigant bouton de rose en velours rouge d’ Élodie Antoine, qui s’ouvre et se clôt grâce à des fermetures Éclair ; sinon dévorante, comme ce tapis détonnant de Ru Xiao Fan (L’Étang aux lotus) commandé pour l’occasion, paysage intérieur ou espace mental, vecteur d’une liberté silencieuse, pas si sereine que cela. Autant lâcher prise alors, et se perdre, comme dans cette peinture numérique signée Petra Cortright (Vykort 8051kit), inspirée, paraît-il, des Nymphéas de Claude Monet, mais constituée d’images récoltées sur Internet puis triturées à l’envi sur Photoshop.
PLACE AU BEAU BIZARRE
La découverte se poursuit extramuros parmi la vingtaine de sculptures disséminées dans les jardins thématiques. Fil conducteur : le merveilleux. « J’aime beaucoup l’humour, le fantastique, le décalé, les contes de fées... », dit Patricia Laigneau. Dès l’entrée, dans la cour des communs, surgit, au beau milieu du potager, une taupe géante, œuvre de Ghyslain Bertholon (Taupologie du château du Rivau), métaphore des souterrains qui, jadis, joignaient discrètement le château à celui de Chinon. Le propos est parfois un peu trop littéral : ainsi ce jardin truffé de... nains de jardin ou, à l’autre extrémité de l’échelle, une myriade de pièces surdimensionnées, tels Un grand pot de Jean-Pierre Raynaud, une paire de bottes vertes (Invendus-Bottes) et un arrosoir (Vaisseau de jardin) de Lilian Bourgeat. Leur démesure apporte néanmoins une petite touche sur- réaliste. Idem avec ces arbres qui semblent « prendre leurs jambes à leur cou », installation de l’artiste Basserode baptisée La Forêt qui court. Philippe Ramette, lui, a accroché à la branche d’un chêne séculaire un bijou loufoque (Piercing), tandis que Dominique Bailly a reconstitué, avec force sarments de vigne, l’une des tours disparues du château (La Tour au bois dor- mant) à la forme étonnante – une poivrière. À deux pas du pont-levis, Fabien Verschaere a déployé, sur un vaste pédiluve, sept céramiques (Novel for Life) inspirées des Voyages de Gulliver. Quant au carrousel-cage à oiseau de Pierre Ardouvin (Encore et toujours), son cheval de bois, « premier voyage de l’enfant à travers l’univers du merveilleux », ne tourne plus depuis belle lurette, et le miroir, au sol, s’est définitivement brisé. Le conte de fées peut décidément virer au cruel.
« Le Jardin, miroir du monde », 1er avril-13 novembre 2022, château du Rivau, 9, rue du Château, 37120 Lémeré