Voilà un sujet qui fera froncer plus d’un sourcil : comment a-t-on pu relier des livres en peau humaine ? Qui a pu en faire la collection ? Pourquoi sont-ils conservés et exposés dans des musées ? Ces mêmes questions s’imposent à la bibliothécaire médicale américaine Megan Rosenbloom lorsque, encore étudiante, elle découvre l’existence de tels ouvrages, innocemment alignés dans une vitrine du Mütter Museum, à Philadelphie.
Ces volumes étaient essentiellement l’œuvre de médecins bibliophiles, désireux d’enrichir leur collection d’un exemplaire dont la rareté en faisait un objet de luxe.
Cette découverte marque le début de plusieurs années d’enquête visant à expliquer une pratique des plus morbides, dont cette publication constitue le compte rendu. Des livres reliés en peau humaine s’articule autour de plusieurs études de cas datant surtout des XVIIIe et XIXe siècles, qui dressent progressivement un portrait de la bibliopégie anthropodermique ainsi que des différents contextes dans lesquels elle fut pratiquée. L’histoire de ses protagonistes nous est contée, des fabricants aux collectionneurs, en passant par les malheureux ayant servi de matière première…
Une éthique médicale en question
Détail dérangeant, ces volumes étaient essentiellement l’œuvre de médecins bibliophiles, désireux d’enrichir leur collection d’un exemplaire dont la rareté en faisait un objet de luxe. Ils n’avaient aucun scrupule à utiliser la peau de cadavres de laissés-pour-compte, récupérés dans des circonstances peu déontologiques. Une révélation qui permet à Megan Rosenbloom de soulever de nombreuses questions historiques et sociétales, et d’aborder l’histoire du rapport problématique de la médecine aux classes sociales défavorisées. Elle interroge par ailleurs l’éthique de la conservation de tels livres par des institutions.
Accompagnée de conservateurs et de chimistes, la bibliothécaire réalise également un travail d’authentification de livres présumés anthropodermiques. Car un certain nombre d’ouvrages ont été décrits à tort comme reliés en peau humaine. Ces faux renvoient souvent à des périodes troubles de l’histoire, comme la Révolution française durant laquelle circulait une rumeur laissant entendre qu’à Meudon se serait développée une tannerie de peau humaine, qui aurait notamment permis de relier un exemplaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’auteure réalise ainsi un travail de déconstruction des mythes entourant la pratique de la reliure anthropodermique. À partir de ces objets à la fois repoussants et intrigants, Megan Rosenbloom livre une analyse unique d’une pratique méconnue, faisant sortir quelques cadavres des placards de la bibliophilie et de la médecine.
Megan Rosenbloom, Des livres reliés en peau humaine, Paris, Éditions B42, 2022, 240 pages, 24 euros.