Les ventes de NFT ont chuté de 92 % depuis septembre 2021, mais les analystes détectent aussi de légères évolutions sur le marché de la blockchain.
Le mois dernier, le Wall Street Journal a rapporté que les ventes de NFT étaient « en chute libre », citant des données de NonFungible, une société d’analyse spécialisée dans ce secteur. À première vue, les chiffres sont alarmants : les portefeuilles de NFT actifs semblent avoir chuté de 88 % – de 119 000 à 14 000– depuis septembre de l’année dernière, et les ventes individuelles sont passées d’une moyenne quotidienne de 225 000 à 19 000, soit une dégringolade vertigineuse de 92 %. Pire encore, on compte désormais cinq vendeurs pour un seul acheteur.
Un tel effondrement serait un coup dur pour un secteur qui, en 2021, a vu plus de 17 milliards de dollars (15,9 millions d’euros) changer de mains, alimentant les espoirs et les rêves de milliers d’artistes qui voyaient dans cette technologie un moyen de tirer enfin profit de leurs créations numériques, par ailleurs reproductibles à l’infini. Le Wall Street Journal relate les déboires d’un certain Sina Estavi, qui a acheté une capture d’écran d’un tweet de Jack Dorsey pour 2,9 millions de dollars en mars 2021, sans désormais parvenir à faire monter les enchères au-delà de 14 000 dollars.
Mais, ces données ne donnent pas une image complète de la situation. Tout d’abord, comme l’a fait remarquer NonFungible, les chiffres analysés proviennent du rapport du premier trimestre et nous approchons maintenant du deuxième ; les choses ont changé, notamment avec l’introduction d’une série de nouvelles collections lucratives comme Moonbirds et Otherside (NonFungible a également insisté sur le fait que ses chiffres étaient « prudents »).
« "Bored Ape Yacht Club", "Doodles" et "Azuki" sont des "NFT sociaux"- la valeur essentielle est la notoriété qu’ils offrent aux acheteurs »Louisa Choe
Plus pertinemment, les NFT constituent une classe d’actifs vaste et diversifiée dont la valeur ne peut s’expliquer en fonction d’un seul ensemble de critères de marché. Parfois, ces jetons non fongibles se comportent comme des actifs sur le marché de l’art traditionnel, avec des pièces uniques et des collections produites par des artistes réputés qui s’arrachent pour des sommes exorbitantes, basées sur une combinaison grisante d’image prestigieuse et de confiance dans un prix de revente encore plus exorbitant.
Mais il y a aussi les regroupements plus récents de NFT : les avatars de type « photo de profil », à l’instar de Bored Apes, qui font partie de collections conférant à leur détenteur une sorte de privilège exclusif, comme l’accès à des événements, à la propriété intellectuelle, à d’autres jetons et à des forums de discussion. Ces NFT s’apparentent davantage à des actions ordinaires, ou à un actif numérique comme le Bitcoin ou l’Ethereum.
« La valeur des pièces est déterminée de manière assez différente, explique Louisa Choe, analyste chez Nansen, une société de données qui fournit des analyses plus précises du marché des NFT. Des pièces telles que Bored Ape Yacht Club, Doodles et Azuki sont des "NFT sociaux" – la valeur essentielle est la notoriété qu’ils offrent aux acheteurs. » En revanche, dit-elle, la valeur des œuvres uniques est « dérivée de la popularité et de la reconnaissance des artistes ».
Comprendre cette distinction permet d’avoir une appréciation plus nuancée du marché. En examinant les données, Louisa Choe observe que, depuis le mois d’avril, les ventes d’œuvres uniques sont en réalité en hausse, comme en témoigne l’augmentation du rapport entre le nombre de portefeuilles achetés et le nombre de portefeuilles vendus (le Wall Street Journal n’a pas fait cette distinction). Bien qu’il y ait eu des ventes de jetons moins chers, dit-elle, les données suggèrent que les vendeurs n’abandonnent pas le marché mais passent simplement d’un type de NFT – les « drops » plus risqués d’artistes populaires – à des collections mieux établies qui semblent être un pari plus sûr. Selon elle, ces NFT sociaux représentent désormais 83 % du marché des NFT ; c’est pourquoi elle les appelle des « blue chips ». Cette évolution n’est pas différente de celle observée sur les marchés technologiques au sens large, qui ont été affectés par la hausse des taux d’intérêt.
Sam Williams, directeur général de la base de données NFT Arweave, explique que les collections semblent plus sûres pour les investisseurs car elles sont capables d’attirer davantage de liquidités, c’est-à-dire plus d’acheteurs et de vendeurs potentiels. Les œuvres uniques génèrent un énorme buzz dans l’espoir d’attirer de nouveaux acheteurs à la recherche d’une revente rentable, mais au fil du temps, ce buzz s’estompe à mesure que la nouvelle mode l’emporte – à moins que la pièce ne soit un chef-d’œuvre bouleversant ou n’ait une certaine importance historique. C’est ce qui rend ces œuvres « non fongibles » : chacune est unique et il n’existe pas d’équivalent contre lequel vous pourriez l’échanger. Si l’engouement s’estompe, vous ne trouverez probablement jamais d’acheteur et vous vous retrouverez avec une sérieuse perte d’argent (à moins que vous n’aimiez simplement l’art !). Cela rend également les données fiables difficiles à trouver : comment, par exemple, évaluer une œuvre numérique sans acheteur ni vendeur ? La prédominance des maisons de ventes aux enchères privées et exclusives et le phénomène du wash trading, dans lequel les détenteurs échangent avec eux-mêmes, n’aident pas non plus.
« Les collections pour lesquelles il existe une grande communauté et de nombreux jetons ont une structure de marché un peu plus fongible »Sam Williams
Les objets de collection NFT, en revanche, se comportent presque comme des actifs ordinaires. La série des Bored Apes, par exemple, rassemble des communautés importantes et dévouées de détenteurs de ces primates pour la plupart interchangeables, ce qui garantit un certain degré de liquidité. « Les collections pour lesquelles il existe une grande communauté et de nombreux jetons ont une structure de marché un peu plus "fongible" », explique Sam Williams. C’est pourquoi la valeur des collections NFT est souvent déterminée par un « prix plancher » – c’est-à-dire le moins cher disponible d’un ensemble donné. « Les gens ont tendance à vouloir acheter ce qui est le moins cher, tant qu’ils ont un Bored Ape », poursuit-il. C’est aussi pourquoi très peu de détenteurs se soucient de la qualité ou, disons-le, de la signification dialectique de l’œuvre.
Tout cela montre que le Wall Street Journal n’a pas eu tout à fait tort de constater une baisse de la valeur de certains NFT. Mais, en réalité, les joueurs n’ont fait que troquer un casino pour un autre, passant de la salle des ventes à la salle des marchés.