La réouverture du Musée national du Moyen Âge, ce printemps, a des allures de… renaissance. « Le Musée de Cluny était l’un des rares musées nationaux à n’avoir pas fait l’objet de grande rénovation depuis la Seconde Guerre mondiale, explique Séverine Lepape, sa directrice. Dans les années 1990, un certain nombre de projets ont été imaginés pour réaménager cet îlot enclavé au cœur de Paris, avec des problématiques liées aux vestiges archéologiques. Mais, à partir de 2011, la loi d’accessibilité aux musées pour les personnes à mobilité réduite a permis au Musée de Cluny de bénéficier d’un programme ambitieux. »
Une décennie après le lancement du processus de modernisation du site, l’enveloppe globale s’élève à 26 millions d’euros. Rendre le musée accessible signifiait le doter d’une entrée digne de ce nom. Auparavant, les visiteurs pénétraient par la lourde porte en bois donnant dans la cour de l’hôtel des abbés de Cluny, situé en face de la Sorbonne. D’emblée, les décors des façades du XVe siècle en imposaient, mais impossible ensuite d’y circuler avec un fauteuil, compte tenu des nombreuses ruptures de niveaux.
En 2014, un concours est lancé pour créer un nouvel accueil, de plain-pied avec la rue du Sommerard – du nom du collectionneur à l’origine du musée au XIXe siècle. Lauréat, l’architecte Bernard Desmoulin, récipiendaire du Prix de l’Équerre d’argent en 2009 et membre de l’Académie des beaux-arts, a conçu une extension « pignon sur rue », ouverte sur la vie animée du Quartier latin, habillée de panneaux de fonte d’aluminium couleur bronze et d’une résille métallique. Le scénographe Adrien Gardère le rejoint en 2016. Le duo a pour mission d’effectuer la refonte du parcours de visite chamboulé par la nouvelle configuration des espaces, de concert avec Paul Barnoud, l’architecte en chef des Monuments historiques. Le chantier touche à son terme. Mais, crise sanitaire oblige, la réouverture du musée, initialement prévue il y a un an, a dû être différée. « Devenu en 1992 le Musée national du Moyen Âge, entièrement recentré sur cette époque après le transfert des pièces Renaissance de la collection au château d’Écouen, poursuit sa directrice, l’institution exposait ses collections de manière assez pédagogique, suivant les techniques : une salle consacrée aux menuisiers, une autre aux tapissiers, à la sculpture sur pierre… La nouvelle muséographie présente mille six cents pièces et suit un parcours chronologique au fil de vingt et une salles, des premiers vestiges du Ier siècle jusqu’au XVe siècle. »
La visite commence par le frigidarium des thermes antiques. À l’art au début du Moyen Âge – des pièces mérovingiennes, byzantines et le grand devant d’autel de la cathédrale de Bâle, en or, l’un des fleurons de la collection – succèdent l’art roman et le premier art gothique dans une salle à la hauteur majestueuse. Douze chapiteaux de la nef de l’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés y sont présentés sur des colonnes contemporaines, ainsi que des têtes et vitraux de l’abbatiale de Saint-Denis. Suit la salle des sculptures de Notre-Dame de Paris – remplacées lors des restaurations d’Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle –, qui abrite également les fragments arrachés sous la Révolution et redécouverts en 1977. Au rez-de-chaussée de l’hôtel médiéval est exposée « L’Œuvre de Limoges » – une collection de référence d’émaux dits « champlevés », en plein essor au XIIe siècle. Le chapitre dévolu à l’art du XIIIe siècle dévoile un ensemble pour la première fois réuni de pièces issues de la Sainte-Chapelle – sculptures des apôtres restaurées, vitraux et reliquaire – et, plus loin, toute la virtuosité du travail de la pierre dans les motifs végétaux des clés de voûte sculptées provenant du collège de Cluny.
À côté de la sculpture funéraire de l’époque de Philippe le Bel et de ses fils, un petit trésor : le coffret en ivoire dit L’Assaut du château d’Amour. Entre autres chefs-d’œuvre remis en valeur à la faveur de cette rénovation muséale menée de main de maître, les visiteurs pourront tout autant s’esbaudir devant la délicate Rose d’or (1330), offerte par le pape Jean XXII au comte de Neuchâtel Rodolphe de Nidau, devant l’Adam du revers de la façade sud du transept de Notre-Dame de Paris ou face à la somptueuse architecture gothique flamboyante de la chapelle.
Des salles illustrent la vie quotidienne au Moyen Âge (mobilier, vaisselle de table, parures, soins du corps, jeux), ainsi que les arts du combat au temps des preux chevaliers, chers à Chrétien de Troyes. En fin de parcours, le point d’orgue du premier étage, consacré aux XIVe et XVe siècles, en France, en Italie et en Europe du Nord, reste sans conteste les six tapisseries de La Dame à la licorne. La tenture sur le thème des cinq sens, auxquels s’ajoute l’énigmatique Mon seul désir – charnel, spirituel, voire les deux mêlés –, est présentée sur des chevalets à pans inclinés afin d’éviter qu’elle ne se déforme en pesant de tout son poids. L’ensemble est magistral.
Désormais entièrement accessible (ascenseurs et rampes d’accès ont été aménagés), le musée dépoussiéré a gagné en lisibilité : avec une entrée visible depuis la rue, une librairie, un café, des ouvertures laissant pénétrer la lumière et un parcours qui valorise ses collections, parmi lesquelles cinq cents œuvres restaurées. « L’extension contemporaine et la nouvelle scénographie le font entrer dans le XXIe siècle, tout en l’inscrivant respectueusement dans une longue histoire », se félicite Séverine Lepape. Pour la réouverture, prévue le 12 mai, une exposition est consacrée à l’architecture du musée, accompagnée de la publication d’un ouvrage sur le sujet. En octobre, l’art du XIVe siècle à Toulouse sera mis à l’honneur, en partenariat avec le Musée des Augustins dans la Ville rose ; une autre exposition montrera les nouvelles acquisitions des cinq dernières années. Le musée espère renouer avec la fréquentation d’avant la pandémie : 300 000 visiteurs annuels, dont la moitié sont étrangers.
Une version en anglais de cet article a été publiée dans l'édition internationale de The Art Newspaper.