Aujourd’hui moins connu que ses contemporains Charles Le Brun ou Antoine Watteau, Antoine Coypel (1661-1722) fut pourtant au tournant du Grand Siècle un artiste de tout premier plan, chéri des Orléans, au service de Monsieur puis du Régent, deux flamboyants mécènes. Actif au soir du règne de Louis XIV sur les chantiers les plus innovants, tel le plafond de la chapelle royale du château de Versailles, Coypel est de ceux qui ont subrepticement insufflé à la noblesse et la sévérité du XVIIe siècle déclinant la délicatesse et la suavité du jeune XVIIIe siècle. Si le peintre fut tout de même accusé par l’histoire de l’art d’affadissement du goût, et jugé responsable du déclin de la grande peinture d’histoire, c’est sans doute qu’il manquait aux plus intransigeants critiques d’avoir pu admirer son grand œuvre : la Galerie d’Énée du Palais Royal.
EXÉCUTÉ ENTRE 1702 ET 1717, CE FASTUEUX DÉCOR DISPARUT EN PARTIE LORSQUE LA GALERIE QUI L’ABRITAIT FUT DÉMOLIE DÈS 1785
Exécuté entre 1702 et 1717 lorsque l’artiste était au faîte de sa gloire, ce fastueux décor disparut en partie lorsque la galerie qui l’abritait fut démolie dès 1785. L’exposition du musée des beaux-arts de Tours donne une rare opportunité d’imaginer son ampleur et son originalité, grâce aux prêts de précieuses esquisses conservées dans les musées d’Arles et d’Angers, et de somptueuses estampes issues des collections de la Bibliothèque nationale de France, réalisées sous la direction de l’artiste lui-même, soucieux de sa publicité. On imagine aisément quel effet pouvait produire ce plafond foisonnant sur le visiteur, où les architectures feintes s’ouvrent sur un ciel radieux peuplé de divinités auxquelles – dit-on – le tout-Paris aurait prêté ses traits.
Subtil exercice d’équilibriste, entre impératif décoratif et nécessité politique, cette commande du Régent donne au peintre l’occasion de multiplier les sujets rares et romanesques puisés chez Virgile, frôlant grâce au renfort d’une iconographie renouvelée le portrait en creux de son héroïque protecteur. La touche galante et vigoureuse de certaines scènes, telle Les Vaisseaux d’Énée changés en nymphes, où barbotent de fougueuses néréides, apparaissent comme un vibrant hommage au Débarquement à Marseille peint par Rubens pour la Galerie du Luxembourg, alors propriété de Philippe d’Orléans, que Coypel connaissait bien et admirait tant.
UN CIEL RADIEUX PEUPLÉ DE DIVINITÉS AUXQUELLES –DIT-ON – LE TOUT-PARIS AURAIT PRÊTÉ SES TRAITS
Indéniablement, l’exposition offre d’abord à ce décor démantelé depuis plus de deux cents ans un éclairage vivifiant, mais se poursuit dans une direction plutôt surprenante. Alors que l’on s’attend à contempler ne serait-ce qu’un des sept tableaux sauvés de la Galerie d’Énée, désormais conservés entre Montpellier et les réserves du musée du Louvre, l’on passe sans transition à « l’inspiration antique dans la peinture de la seconde moitié du XIXe siècle ». Ce sujet est certes intéressant, qui nous permet de découvrir au passage deux tableaux magnifiques issus des collections des Beaux-Arts de Paris, mais dont on peine à justifier la présence aux côtés de Coypel, beaux guerriers exceptés.
La frustration est encore plus grande à la lecture du passionnant catalogue, dans lequel le lecteur apercevra quelques feuilles préparatoires particulièrement séduisantes, absentes elles aussi de l’exposition : des dessins de la main de Coypel, et d’autres aussi plus inattendus de Gilles-Marie Oppenord (1672-1742). Philippe d’Orléans avait confié à ce dernier la conception d’un mobilier dont le luxe inouï devait servir d’écrin aux peintures du Premier peintre du roi.
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« Le Théâtre de Troie, Antoine Coypel, d’Homère à Virgile », jusqu’au 18 avril 2022, Musée des beaux-arts de Tours, 18 place François Sicard, 37000 Tours.