Le Mont-Saint-Michel, en Normandie, est constitué de leucogranites, une roche qui explique que cette île escarpée et soumise aux marées n’ait jamais été emportée par la mer. Mais, de nombreuses parties de la France continentale sont depuis longtemps confrontées à l’érosion, voyant le territoire hexagonal régulièrement grignoté par les flots.
Ces derniers mois, la chaîne de télévision France 2 a souligné à plusieurs reprises la situation critique des falaises de Normandie. Une attention particulière a été accordée à Varengeville-sur-Mer, dans le département de la Seine-Maritime, où l’église, qui se dresse sur une falaise, risque de disparaître bientôt dans la mer. Varengeville était autrefois un haut lieu de l’impressionnisme, certains artistes ayant immortalisé l’église dans leurs tableaux, dépeignant son cadre baigné de couleurs douces et de lumière. Il n’est donc pas étonnant que le village et son église Saint-Valery soient aujourd’hui visités chaque année par des dizaines de milliers de touristes. La commune a aussi récemment été choisie par l’artiste contemporain Laurent Grasso pour y construire une maison-atelier.
MONET, RENOIR, PISSARRO ET COROT ONT ÉTÉ ATTIRÉS PAR VARENGEVILLE – JUSQU’ À GEORGES BRAQUE, QUI REPOSE DEPUIS 1963 DANS LE CIMETIÈRE ADJACENT À L’ÉGLISE
Cependant, les falaises de Varengeville-sur-Mer et des villes voisines comme Dieppe subissent les assauts de la mer et elles n’ont pas la solidité du Mont-Saint-Michel.
Monet, Renoir, Pissarro et Corot ont été attirés par Varengeville – jusqu’à Georges Braque, pionnier du cubisme, devenu résident du village, qui repose depuis 1963 dans le cimetière adjacent à l’église. C’est Braque qui, à la suggestion d’André Malraux, alors ministre de la Culture, a conçu le merveilleux vitrail représentant l’arbre de Jessé dans le chœur de Saint-Valery.
L’église, dont le bâtiment actuel remonte au XIe siècle, associe des éléments architecturaux romans et postérieurs. Elle est construite à l’emplacement où se trouvait autrefois le sanctuaire du moine Valery, venu d’Auvergne et dont la mission lui valut le nom d’ « Apôtre des falaises ». Cependant, selon les archives, les falaises se trouvaient à l’époque à quelque 800 mètres de la mer, alors qu’aujourd’hui l’eau les grignote. Comme le souligne Arnaud Gruet, conseiller municipal de la commune de Varengeville-sur-Mer, l’église n’est située qu’à 10 mètres d’un terrain qui conduit rapidement à l’aplomb de la falaise voisine. Cette dernière serait grignotée ici et là jusqu’à un mètre par an par une mer indomptable.
Constituées principalement de craie, mélangée dans les parties supérieures à du sable et de l’argile, les falaises du département de la Seine-Maritime – qui peuvent atteindre 100 mètres de haut – sont très sensibles à l’érosion. Ce processus est provoqué par les tempêtes, le vent, les fortes vagues et la montée du niveau de la mer due au réchauffement climatique. À Dieppe, par exemple, un total de 20 000 mètres cubes de falaises a disparu dans un effondrement en 2012.
L’ÉGLISE, DONT LE BÂTIMENT ACTUEL REMONTE AU XIE SIÈCLE, ASSOCIE DES ÉLÉMENTS ARCHITECTURAUX ROMANS ET POSTÉRIEURS
Il ne fait aucun doute que l’ensemble du littoral du département soit menacé, qui comprend 46 communes comptant 300 000 habitants. Les géologues estiment que le département de la Seine-Maritime perdra 230 hectares de littoral d’ici 20 ans. Si une brèche s’ouvre quelque part, l’eau ronge inexorablement les terres situées derrière. Mais Claude Monet était-il conscient de ces dangers ? Dans son tableau de 1882, L’Église de Varengeville, effet matinal, celle-ci se dresse certes sur un fier rocher côtier, mais non loin de l’abîme.
Diverses méthodes pour lutter contre l’érosion ont été expérimentées depuis longtemps en France. Mais, tout comme dans l’Ouest, où l’Atlantique ravage les plus hautes dunes d’Europe, il n’existe guère d’espoir de sauver les falaises de Seine-Maritime. En l’occurrence, Varengeville-sur-Mer est l’un des sites les plus exposés. La maison des douaniers – maintes fois peinte par Monet comme l’église Saint-Valery – a déjà disparu. Elle avait été construite pendant le blocus continental sous le Premier Empire, et Monet en avait obtenu les clés pour y résider. Elle aussi était bâtie sur un sol instable.
ELLE FINIRA PAR GLISSER DANS L’ABÎME, VOIRE PAR S’EFFONDRER MORCEAU PAR MORCEAU ET TOMBER DANS LA MER
L’église Saint-Valery a, depuis le tournant du millénaire, bénéficié de réparations de certains de ses murs et de ses fondations, ainsi que d’une réfection de son toit et de sa charpente. « Imaginez un peu, raconte Arnaud Gruet, avant, on pouvait même voir l’intérieur de l’église à travers la lézarde d’un des murs latéraux. » Ces restaurations ont coûté 1,5 million d’euros, 46% du budget a été financé par l’État et 25% par le département de Seine-Maritime. Selon le conseiller municipal, « la question [de ces subventions] est presque philosophique, car l’église Saint-Valery est d’une part un lieu de culte, d’autre part – étant classée monument historique depuis 1924 – un élément du patrimoine culturel national. » Quoi qu’il en soit, selon lui, l’église, dont le niveau change constamment en raison de l’instabilité du sol, est, depuis les travaux, maintenue debout artificiellement. « Elle finira par glisser dans l’abîme, voire par s’effondrer morceau par morceau et tomber dans la mer », prévient-il.
Pour éviter la catastrophe annoncée, une intervention coûteuse est nécessaire. Suite à un appel public lancé il y a cinq ans, la commune de Varengeville a reçu des dons. Mais comment sauver Saint-Valery ? Une solution serait de démonter l’église pierre par pierre et de la reconstruire plus loin dans les terres. L’autre option, radicale, a des précédents onéreux aux États-Unis : l’église serait entièrement déplacée sur des rails et transportée vers un nouvel emplacement. Mais le sol instable sous l’église et le cimetière serait-il capable de supporter le poids du dispositif nécessaire ? L’étude de faisabilité, qui devrait également porter sur le choix du nouvel emplacement, coûterait à elle seule de 400 000 à 600 000 euros, soit une petite partie des nombreux millions nécessaires à une telle entreprise, comme le souligne le maire de la commune, Patrick Boulier.
Comme l’église Saint-Valery victime de l’érosion, le cimetière de Varengeville disparaîtra également dans la mer – et, avec lui, la tombe de Georges Braque, de sa femme et de leur domestique. François Mitterrand est venu ici plusieurs fois pendant son mandat de président de la République française. Les villageois se souviennent qu’il s’asseyait sur le banc en bois derrière l’église et s’abandonnait au panorama et à ses pensées.
MONET AURAIT DÉCOUVERT L’ÉGLISE PAR HASARD AU COURS D’UNE PROMENADE LE LONG DE LA CÔTE
Patrick Boulier se console en se disant que si une catastrophe ne peut être évitée, Varengeville conservera au moins ce panorama – et le monde de l’art aura toujours les tableaux des impressionnistes. Une vue particulièrement belle de Monet, L’Église de Varengeville, soleil couchant (1882), a été vendue chez Christie’s à Londres en 2014 pour 5,68 millions de livres sterling (6,72 millions d’euros).
La première rencontre de l’artiste avec l’église aurait été accidentelle; il l’aurait découverte par hasard au cours d’une promenade le long de la côte. Il a peint quatre versions de ce même thème.