« Francis était très conscient de l’animalité et du fait que nous, humains, sommes des animaux. Nous avons beau mettre des costumes, l’instinct animal est toujours très fort. C’est toujours la peur, la luxure et la rage. » Tel est, selon Michael Peppiatt, le principe directeur de « Francis Bacon : Man and Beast », l’exposition qui vient d’ouvrir à la Royal Academy of Arts (RA) dont il est le co-commissaire avec Sarah Lea, conservatrice à la vénérable institution.
Michael Peppiatt, biographe et confident de Bacon, a sans doute été le principal promoteur de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort en 1992. « Je sais qu’il s’intéressait à l’instinct animal, et également à l’instinct animal chez les êtres humains. En parcourant l’œuvre, j’ai compris qu’il s’agissait de toute une facette de l’intérêt et de l’imagination de Bacon, qui n’avait pas vraiment été explorée auparavant », explique-t-il.
L’EXPOSITION RÉUNIT TOUTES LES REPRÉSENTATIONS DE TAUROMACHIE DE BACON
L’exposition réunit des tableaux contenant des représentations animales, comme la série des corridas de 1969, et des figures plus emblématiques d’humains déformés et tourmentés, à l’instar du « pape hurlant » Head VI (1949), ainsi que les créatures hybrides bizarres que l’on retrouve dans ses premiers tableaux de crucifixion et dans ses œuvres des années 1980 inspirées de la tragédie grecque classique.
Michael Peppiatt, qui a fait la connaissance de Francis Bacon au début des années 1960, est resté un ami proche tout au long de sa vie. Sa théorie est que le peintre a mené un mode de vie urbain et décadent pour lequel il est devenu célèbre en réaction à une enfance sauvage et rurale – son père, un ancien officier de l’armée, s’était installé en Irlande pour entraîner des chevaux de course – qu’il a prétendu mépriser plus tard dans sa vie. « Il s’est détourné des conditions de son enfance et a rejeté tout cela comme étant absurde, mais il n’est pas né dans un bar de Soho, il est né dans les contrées sauvages d’Irlande, entouré par la nature, avance Michael Peppiatt. Il s’intéressait aux animaux et à leur comportement, même s’il était allergique aux chevaux et aux chiens. C’est mon hypothèse. Mais je pense qu’il a appris à connaître les réactions des animaux, leur façon de se cabrer ou de s’ébrouer, et il voyait la vie à travers le spectre des animaux et de leur comportement. »
Il se félicite que l’exposition réunit toutes les représentations de tauromachie de Bacon (y compris son dernier tableau, datant de 1991), qu’il décrit dans le catalogue de l’exposition comme étant « parmi les rencontres les plus directes et les plus puissantes entre l’homme et la bête dans son œuvre ». Conscient de l’opposition à cette tradition aujourd’hui qualifiée de sanguinaire, Michael Peppiatt n’en affirme pas moins que Bacon « était profondément ému par l’ensemble du spectacle ».
« Je pense que cela l’excitait : le danger, le sang, le courage. Il a également qualifié la tauromachie de “merveilleux apéritif pour le sexe”. » Tout aussi important, selon lui, l’iconographie de la tauromachie permettait à Francis Bacon de se mesurer directement à l’artiste qui, par-dessus tout, l’intimidait : Pablo Picasso. « Il était obsédé par Picasso, poursuit Michael Peppiatt. Un jour, il m’a dit, à brûle-pourpoint: “Je dois être conscient de Picasso tout le temps, il n’y a aucun moyen de l’éviter”. » Les deux artistes ne se sont pourtant jamais rencontrés. « Bacon ne le voulait pas, et je peux comprendre pourquoi, commente-t-il. Vous mettez soudain ces deux poids lourds sur le ring – que va-t-il se passer ? »
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« Francis Bacon : Man and Beast », jusqu’au 17 avril 2022, Royal Academy of Arts, Burlington House, Piccadilly, Londres.