La rencontre entre l’artiste espagnol Salvador Dalí et le psychanalyste autrichien Sigmund Freud fut, sans surprise, un événement mémorable. Elle s’est déroulée à Londres le 19 juillet 1938, un an avant que l’Europe ne soit déchirée par la guerre. Cet échange entre le maître surréaliste et l’inventeur de la psychanalyse fait l’objet d’une exposition qui ouvre aujourd’hui au Belvédère inférieur, à Vienne.
Stella Rollig, directrice du musée, rappelle que les deux hommes « étaient séparés par une différence d’âge de 48 ans et la barrière de la langue, mais aussi par leurs conceptions opposées de l’art ». Ce qu’ils partageaient, c’était leur « grand intérêt pour la psyché humaine, ses aspects cachés et ses profondeurs ». Jeune homme, Dalí avait lu L’interprétation des rêves et Freud, tout comme Pablo Picasso, était une figure paternelle. Il rêvait de rencontrer le grand neurologue autrichien. Freud a fui Vienne après l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938, et s’est installé dans le quartier de Primrose Hill, dans le nord de Londres. Dalí apprit le brusque départ de Freud en mangeant des escargots dans un restaurant. Il se serait alors écrié: « Le crâne de Freud est un escargot ! »
DALÍ RÊVAIT DE RENCONTRER LE NEUROLOGUE AUTRICHIEN
Dalí, qui était venu de Paris à Londres, s’arrangea pour rencontrer le grand homme par l’intermédiaire de son mécène anglais (et probable amant) Edward James et du romancier autrichien en exil Stefan Zweig. Lorsqu’il arriva au domicile londonien de Freud, Dalí repéra une bicyclette dans la cour. Sur sa selle était posée une bouillotte sur laquelle se trouvait un escargot vivant.
Dalí avait apporté l’une de ses récentes peintures, Métamorphose de Narcisse (1937), pour la montrer au psychanalyste. Lors de cette rencontre tant espérée, ils ont échangé en français et ont finalement trouvé peu de choses à se dire. Comme Dalí le rappellera plus tard : « Contrairement à mes espoirs, nous avons peu parlé, mais nous nous sommes dévorés des yeux ». L’artiste consacra ses efforts à dessiner un portrait de Freud avec un crâne en forme d’escargot.
« CE GARÇON RESSEMBLE À UN FANATIQUE. »
Edward James, qui était présent, a qualifié ce moment d’« expérience très émouvante ». À 82 ans, Freud était « adorable » et « plein d’entrain, bien qu’un peu déconcerté par moments par le fait d’être devenu légèrement sourd ». Quant à Dalí, il était « tellement inspiré, ses yeux étaient si brillants d’excitation tandis qu’il esquissait le portrait de l’inventeur de la psychanalyse ». Ce dessin, conservé au Freud Museum de Londres, est présenté dans l’exposition du Belvédère.
Freud murmura à Edward James pendant que Dalí était absorbé par son croquis : « Ce garçon ressemble à un fanatique. Pas étonnant qu’il y ait une guerre civile en Espagne s’ils sont comme ça. » Face à Métamorphose de Narcisse, Freud déclara qu’il serait « très intéressant d’étudier analytiquement comment un tel tableau a été peint ». Malheureusement, l’exposition de Vienne ne comprend pas cette toile, qui appartient désormais à la Tate Modern, à Londres, car l’œuvre est actuellement en prêt au nouveau MUNCH à Oslo pour une exposition explorant les liens entre surréalisme et symbolisme (« The Savage Eye », 12 février - 8 mai 2022).
Néanmoins, le Belvédère a réussi à réunir un bel ensemble de vingt peintures de Dalí, dont Dark Game (1929) et Les cygnes se reflétant en éléphants (1937). L’exposition comprend également un important ensemble d’œuvres sur papier et des archives, documentant cette rencontre légendaire entre Salvador Dalí et Sigmund Freud.
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« Dalí-Freud, an obsession », du 28 janvier au 29 mai 2022, Belvédère inférieur, Vienne, Autriche.