Il y a un an, le Capitole à Washington, symbole de la démocratie américaine, a subi la pire attaque depuis 1814, lorsque les Britanniques l’ont réduit en cendres. Cette fois, l’assaut a été donné par des citoyens américains, dont beaucoup se considèrent comme des patriotes. Ces actes ont été perpétrés à la demande implicite – certains diraient explicite – du président américain de l’époque, Donald Trump. Nombre des assaillants se sont filmés en train de commettre ces outrages, diffusant les images en direct sur Internet pour que le monde entier puisse les voir.
Le chaos et la violence meurtrière de cette journée sont saisis, de manière viscéralement immersive, dans le premier film réalisé par l’artiste photographe américain Andres Serrano, Insurrection, présenté actuellement en avant première dans le cadre d’une série de projections gratuites pour le public, qui a débuté le 6 janvier au Source Theatre du Cultural DC à Washington, à proximité du lieu de l’attaque.
Au milieu du film, Andres Serrano a introduit un chapitre intitulé « Breaching the Gates », tristement fascinant, composé uniquement de séquences des émeutes filmées par les manifestants et présentées sans superposition audio ou autre intervention artistique. Cette partie du film est le résultat de mois passés à parcourir Internet à la recherche de photographies et d’images du soulèvement, dont la plupart ont été téléchargées sur des plateformes de réseaux sociaux conservateurs comme Parler.
Trois jours avant l’attaque, un rapport des services de renseignement de la police américaine avait été communiqué à la sécurité du Capitole. Il décrivait une menace potentielle pour le Capitole émanant des pro Trump. « Contrairement aux précédentes manifestations postélectorales, les partisans de Trump ne visent pas nécessairement les contre-manifestants; le Congrès est directement ciblé le 6 janvier », peut-on lire dans le rapport, qui ajoute : « La propension du mouvement “Stop the Steal” [“Halte au vol de l’élection”, NDLR] à attirer des suprémacistes blancs, des miliciens et d’autres personnes qui encouragent activement la violence peut conduire à une situation significativement dangereuse pour les forces de l’ordre comme pour le grand public. »
SANS JUGER NI CONDAMNER OUVERTEMENT, ANDRES SERRANO PLACE LES SPECTATEURS AU MILIEU DE CETTE FOULE D’ANONYMES
Sans juger ni condamner ouvertement, et en adoptant un ton froid et ambigu, Andres Serrano place les spectateurs au milieu de cette foule d’anonymes, nous invitant, peut-être, à essayer de comprendre leurs griefs, ainsi que les motifs qui les ont poussés à lancer un assaut visiblement autodestructeur, sans but et pourtant fatal, contre le pouvoir institutionnel américain.
Mais Insurrection est plus qu’une étude des événements traumatisants du 6 janvier 2021. « Breaching the Gates » est complété par des images d’archives et des séquences historiques retraçant 150 ans d’histoire américaine, le tout monté de main de maître par l’artiste. « J’utilise les enregistrements historiques pour rappeler viscéralement au spectateur, encore et encore, que l’histoire se répète de manière particulière », déclare Andres Serrano à propos du film. Il y montre des événements festifs de l’histoire américaine parallèlement à des flambées de violence, semblant ainsi explorer la manière dont l’agression et la brutalité sont imbriquées dans la psyché nationale – sa culture populaire, ses récits fondateurs, ses relations raciales, le principe même de l’esprit des pionniers. « Si ceux qui ont mené les émeutes du Capitole avaient été noirs, ils auraient été abattus comme des chiens, a-t-il déclaré. Des Noirs ont été tués pour bien moins que pour avoir batifolé au Capitole. »
« SI CEUX QUI ONT MENÉ LES ÉMEUTES DU CAPITOLE AVAIENT ÉTÉ NOIRS, ILS AURAIENT ÉTÉ ABATTUS COMME DES CHIENS »
Au fur et à mesure de l’avancée du film, il nous conduit ainsi jusqu’à l’attaque du Capitole, contextualisant l’insurrection en citant des extraits du contenu encore choquant issus de la presse et des forums en ligne qui ont créé les conditions du 6 janvier 2021.
Bien qu’Andres Serrano soit essentiellement reconnu pour son usage de la photographie, Insurrection montre sa capacité à intégrer des morceaux de musique se rapportant précisément à son matériel documentaire. Par exemple, il inclut l’interprétation par des enfants de Battle Hymn of the Republic, chant patriotique datant de la guerre de Sécession, en le superposant aux images des émeutiers du Capitole qui se préparent à envahir le bâtiment.
On y trouve également la chanson USA Freedom Kids, rendue célèbre par une vidéo virale de jeunes filles chantant qu’il faut « écraser les ennemis » lors d’un rassemblement de Donald Trump en 2016. Le dernier extrait audio du film est l’enregistrement d’un discours nourri de références religieuses, prononcé par un prédicateur depuis l’intérieur de la rotonde du Capitole pendant l’insurrection.
Aujourd’hui âgé de 71 ans, Andres Serrano est moitié hondurien, moitié afro-cubain américain et vit à New York. L’artiste – représenté en France par la Galerie Nathalie Obadia – est connu pour son œuvre controversée Piss Christ de 1987, une photographie d’un crucifix immergé dans l’urine. En 2019, il présenta à Manhattan « The Game : All Things Trump », une exposition pop up de souvenirs de Donald Trump et d’artefacts qu’il avait acquis. L’exposition a été suivie d’un livre sur ce projet. Insurrection, le premier film de sa carrière, est produit par l’organisation a/political, basée à Londres, et est projeté avec le soutien de Cultural DC, un organisme à but non lucratif basé à Washington, qui a financé, entre autres projets, la performance en ligne Ivanka Vacuuming de Jennifer Rubell en 2019.
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Andres Serrano, Insurrection, du 13 au 15 janvier 2022, Source Theatre de CulturalDC, Washington, États-Unis,